ARGIOLAS Jean-Marie
- Renaud Poulain-Argiolas
- 20 nov. 2023
- 18 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mai
Né le 8 janvier 1924 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 2 avril 2020 à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ; charpentier en fer, docker, manœuvre, facteur aux PTT, charpentier en bois, boiseur et employé de la SNCF ; militant communiste de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), d'Istres (BdR), de Montélimar (Drôme) et de Miramas (BdR) ; trésorier de la section du PCF de Miramas ; syndicaliste CGT, trésorier du syndicat des cheminots de Miramas ; militant du Mouvement de la Paix ; résistant des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF), puis engagé dans l'armée de libération.

Jean-Marie Argiolas était un fils d'immigrés sardes qui s'étaient rencontrés à L'Estaque, port de la périphérie marseillaise. Son père, Angelo Argiolas, né à Oniferi (Italie), travailla en France comme docker et manœuvre. Il fut militant communiste. Sa mère, Battistina Cesaraccio, née à Busachi (Italie), cantinière et femme de ménage, fut sympathisante communiste. Jean-Marie était le deuxième d'une fratrie de quatre enfants, qui furent tous membres du PCF. Nés italiens, ils firent l'objet d'une naturalisation collective le 8 mars 1937 par déclaration devant le juge de paix de Martigues. L'aîné, Paul Argiolas, né en 1922, fut notamment docker et journaliste. La troisième, Pascaline Argiolas, née en 1926, fut employée municipale. La plus jeune, Élisabeth Argiolas, née en 1930, fut employée des PTT avant d'être femme au foyer. La famille Argiolas vécut d'abord à L'Estaque, où naquirent les deux garçons. De 1925 à 1926, elle était domiciliée en Franche-Comté (Dasle et Valentigney), période durant laquelle le père de famille travailla chez Peugeot Frères. Elle déménagea par la suite à Port-de-Bouc, dans le quartier de la Tranchée avant la naissance de leur troisième enfant, puis dans celui des Comtes après la naissance de la dernière.

Jean-Marie Argiolas passa le certificat d’études et suivit deux années d’enseignement primaire supérieur. Il y côtoya un temps Paul Lombard, qui sera plus tard maire de Martigues. À quatorze ans, il exerçait son premier emploi officiel comme charpentier en fer aux Chantiers et Ateliers de Provence de Port-de-Bouc. Il y resta deux ans, de septembre 1938 à fin décembre 1940. Entre-temps avait eu lieu la débâcle de l'armée française face à l'Allemagne. La police de Vichy surveillait à Port-de-Bouc ceux qui s'étaient fait remarquer par leur engagement communiste avant la guerre. Sans doute du fait du militantisme de Paul, le domicile des Argiolas fut perquisitionné en 1940-1941. De mars à août 1941, Jean-Marie travailla comme ouvrier du BTP pour la Société régionale du bâtiment de Port-de-Bouc, une entreprise qui fit appel à lui à plusieurs reprises durant la guerre. Son embauche est certifiée par une attestation sur l'honneur signée par deux collègues communistes : Pierre Santoru et Émile Giorgetti.
De septembre 1941 à juin 1942, Argiolas fut docker par intermittence pour les ports de Marseille, qui avaient étendu leur activité à la zone de Caronte (commune de Martigues) et Port-de-Bouc. Compte tenu des restrictions et du nombre de bouches à nourrir chez lui, il dérobait quand il le pouvait des denrées alimentaires sur ses lieux de travail. Sa sœur Élisabeth se rappelait en 2020 les sacs de cacahuètes que sa mère et elle se pressaient de cuisiner lorsqu’il en apportait. Elles étaient soucieuses de ne laisser aucune trace qui auraient permis de les signaler à la police. De l'été 1942 à l'automne 1944, Jean-Marie enchaîna plusieurs emplois d'ouvrier du BTP à la Société régionale du bâtiment, de manœuvre à l'usine Kuhlmann de Port-de-Bouc et de docker au port de Caronte. Dans les périodes où il était docker, il faisait de petits paquets de denrées de première nécessité – comme du sucre et de la farine – qu'il jetait par-dessus la barrière et allait récupérer le soir. Le 15 septembre 1942, la brigade de gendarmerie de Port-de-Bouc l’arrêta dans le quartier des Comtes en flagrant délit de vol dans le champ d’un voisin. Après avoir été alertés par Charles Rocque (ou Rocques), propriétaire de 78 ans qui se faisait fréquemment dérober du raisin, les gendarmes Joseph Cros et Gilbert Roure s’étaient mis en embuscade dans le vignoble à 3h30 du matin. Un quart d’heure plus tard, ils interpellaient Jean-Marie, qui portait une musette contenant 15 kg de raisin blanc, et son père Angelo, qui lui aurait dit de jeter le fruit du larcin avant l’arrivée des forces de l’ordre. Les deux hommes furent conduits à la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence. Les autorités décrivaient Jean-Marie ainsi : « 1,64 m, cheveux châtains, front couvert, nez rectiligne, yeux marron, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, teint mat. » Elles ajoutaient : « Vêtu d’un pantalon drap gris, veste bleu marine, chaussé de souliers bas marron, coiffé d’une casquette à carreau vert, teint mat. Le tout en bon état. » Le propriétaire des vignes porta plainte contre les Argiolas et contre un certain Oreste Scipioni, qui lui aurait également volé une quinzaine de kilos de raisin.
Le 17 septembre, le commissaire de police de Port-de-Bouc envoya des renseignements à leur propos au procureur de la République. Docker de dix-huit ans, Jean-Marie n’avait pas de casier judiciaire. On le disait assez mal noté dans sa commune du point de vue de la moralité, mais aussi : « Très batailleur, très arrogant » et « ne (jouissant) pas de l’estime de son entourage ». Le père et le fils furent jugés par le tribunal d’Aix le 24 septembre 1942. Maître Bonelli, leur avocat, plaida les circonstances atténuantes en raison de l’âge du plus jeune, qui était encore enfant. Jean-Marie écopa pourtant de deux mois de prison ferme et Angelo de deux mois de prison avec sursis pour recel.

En novembre 1942, la Wehrmacht, ayant franchi la ligne de démarcation, défilait dans Port-de-Bouc. On ne trouve pas de trace d’activité militante concernant Jean-Marie Argiolas avant son engagement dans les Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF) en juin 1943. Il avait suivi le même chemin que Paul, son frère aîné, sans avoir pour autant les mêmes responsabilités politiques.
Les Allemands avaient installé à Port-de-Bouc une batterie de tir à proximité du domicile familial. Leur présence y était donc permanente. De plus, aux dires d'Élisabeth Argiolas, leurs propriétaires ne cachaient pas leurs sympathies fascistes. La nuit, les avions alliés mitraillaient régulièrement pour tenter d'atteindre les positions allemandes. Réveillés par les sirènes ou les coups de feu, la famille allait se réfugier dans l'abri qu'Angelo Argiolas avait creusé dans le sol du jardin. C'est dans cette atmosphère de tension que les deux frères s'isolaient dans le poulailler de leurs parents, protégés du regard des voisins et à la grande frayeur de leur mère. Paul Argiolas y aurait produit les tracts ou papillons que le Parti communiste clandestin l'avait chargé de réaliser, tandis que Jean-Marie y aurait caché des explosifs. À une date inconnue, Paul se réfugia un temps chez un cheminot résistant, Marius Tassy.

Dans les souvenirs qu’il rédigea sur l'Occupation à Port-de-Bouc, le résistant FTPF Joseph Brando faisait mention aux frères Argiolas, racontant que les plus âgés conseillèrent aux plus jeunes – dont ils faisaient partie – de s'engager comme volontaires dans l'armée pour mener à son terme la libération du pays. Jean-Marie s'engagea le 24 août 1944 dans le 3e régiment FFI Rhône et Durance. Mise à part la présence de son frère Paul Argiolas, il faut noter celle d'Antoine Santoru, militant communiste port-de-boucain et ami de Jean-Marie, qui se fit le témoin de cette période à travers plusieurs livres sous la plume de Roland Joly. Cantonnés à la caserne d'Arles, les jeunes hommes, équipés d'uniformes et de matériel datant de la Première guerre mondiale, étaient impatients d'être envoyés en Allemagne à la poursuite de l'armée occupante. Après plusieurs semaines à ronger leur frein, ils organisèrent des manifestations sur le boulevard des Lices au cri de : « Les FFI à Berlin ! » (cité par Joly/Santoru).

L'armée était alors en pleine recomposition. Jean-Marie passa successivement au bataillon 5/15 de sécurité le 16 octobre 1944, puis au 2/8e zouaves le 20 février 1945. Les hommes furent embarqués sur le torpilleur Le Gloire suite à des émeutes en Algérie, précise Antoine Santoru. La fiche de matricule d’Argiolas indique le départ eut lieu à Marseille le 21 mai. Débarqués à Oran le 22 mai, ils furent cantonnés à la caserne d'Eckmühl, puis le 7 juin à Arzeu (aujourd'hui Arzew) et le 9 septembre à Chanzy (devenu Sidi Ali Benyoub), à 130 km plus au sud. Pour Santoru, on leur ordonna de surveiller le camp de prisonniers de Bossuet (actuellement Dhaya), à une quarantaine de kilomètres plus au sud, où étaient détenus « de nombreux syndicalistes et progressistes algériens ». Les soldats, pour la plupart des FTP et FFI syndicalistes et communistes, auraient refusé de surveiller un camp de prisonniers politiques. Louis Cote, conseiller municipal communiste de Miramas au moment du Front populaire, les résistants Charles Roucaute et Roger Garaudy, furent reclus à Bossuet. Pour sanctionner la désobéissance des soldats, on les consigna plus de quinze jours sous des marabouts en plein soleil, avec des provisions d'eau et de nourriture réduites (Joly/Santoru). Cependant les dates ne semblent pas correspondre. En effet, le centre de séjour surveillé avait été officellement libéré au printemps 1943, suite au débarquement allié en Afrique du Nord. La version de Santoru semble néanmoins confirmée par Argiolas, qui rapporta un jour avoir été contraint de rester sous un marabout en plein désert et par une chaleur de plomb par sanction disciplinaire.
Jean-Marie Argiolas fut dirigé vers la métropole pour être démobilisé le 15 novembre 1945. Il embarqua le lendemain à Oran et débarqua le surlendemain à Marseille. Le 23 novembre, on le démobilisait. Il reçut un « diplôme » de FTPF validé par Charles Tillon et l'Association nationale des anciens FTPF (qui deviendra l’ANACR) ainsi qu'un certificat de service dans les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI), signé par le lieutenant Vial à Chanzy (Sidi Bel Abbès) en octobre 1945.
L'Après-guerre le vit s'investir dans l'Union des Jeunesses Républicaines de France (UJRF) de Port-de-Bouc, dans laquelle son frère Paul Argiolas avait des responsabilités. Le mouvement se battait entre autres pour la réduction de l’âge du droit de vote et de l’éligibilité, contre l’abattement des salaires des mineurs et contre la guerre d’Indochine. Dans son autobiographie, le militant Jean Scarulli précise qu'il fut chargé par la section du PCF de la direction de l'UJRF, avec Jean-Marie Argiolas et Antoine Santoru pour le seconder. "En quelques semaines, nous avions recruté de nombreux adhérents", diffusant l'Avant-garde, le journal de l'organisation, jusqu'à Port-Saint-Louis-du-Rhône, avec un franc succès : "C’est ainsi que nous avons pu lire avec fierté dans les lignes de cet hebdomadaire que le cercle de Port-de-Bouc était au tableau d’honneur pour son activité, ainsi que son secrétaire général." En récompense pour son efficacité aux ventes de masse de l'Avant-garde, on offrit à Argiolas une collection de numéros rassemblés dans une grande reliure rouge. C'est à l'UJRF qu’il fit la connaissance de Paulette Tassy, la fille du cheminot qui avait caché son frère Paul pendant la guerre. Ils participèrent à à plusieurs rencontres de jeunes militants d’envergure nationale ou internationale : délégués du cercle Ayala de Port-de-Bouc – avec Antoine Santoru – au IIe congrès de l'UJRF à Lyon (Rhône) en mai 1948 et présents à une rencontre internationale de jeunes contre l'arme atomique à Nice (Alpes-Maritimes) en août 1950.

Jean Scarulli raconte qu'en août 1947 (il s’agirait plutôt de 1950) il profita de la fête de la ville, sur le cours Landrivon, pour aller récolter des signatures, avec Argiolas et Santoru, pour une campagne de pétitions contre l'arme nucléaire lancée par le PCF. Au bal, alors que les deux autres alternaient visiblement les moments de propagande et les danses avec leurs petites-amies, "Jean-Marie dansait avec les filles, dans la main la liste de pétitions, tout en leur expliquant la nécessité de donner leur signature." Cette époque pourrait être celle qui le vit adhérer au Mouvement de Paix.
À la fin de l’année 1950, en pleine guerre d’Indochine et dans un contexte de forte présence militaire américaine en France, le gouvernement Pleven fit passer la durée du service militaire de douze à dix-huit mois. L’UJRF fit campagne pour s’y opposer, avec des slogans comme « Les 18 mois c’est la guerre » ou « Les 18 mois c’est la misère ». Elle organisait des rencontres avec les conscrits, qu’elle encourageait à manifester devant les conseils de révision. Après une première action à Istres qui avait tourné court – Scarulli, seul, s’était fait bousculer et chasser par la police – Argiolas le rejoignit devant la mairie de Port-de-Bouc quelques jours plus tard. Ils devaient retrouver les conscrits pour un conseil de révision. Des CRS quadrillaient la place. Ils distribuèrent tout de même leurs tracts. Scarulli décrit la scène : « Aussitôt quatre CRS nous empoignent, nous jettent dans un fourgon et nous emprisonnent au commissariat de Martigues. » Il eut le temps de demander en grec à son frère de prévenir Georges Lazzarino, « premier secrétaire du parti ». « Jean-Marie et moi sommes enfermés dans une cellule, assis sur un banc. Des policiers passent devant la grille, nous observent « Ce sont ces merdeux qui foutent la pagaille ? » ». Argiolas craignait qu’ils soient condamnés « pour actes de démoralisation de l’armée ». Scarulli n’en menait pas large non plus. En réaction à leur arrestation, les conscrits s’étaient rassemblés et avaient envoyé une délégation auprès du préfet pour exiger leur libération. Vers quinze heures, les deux prisonniers entendirent La Marseillaise et L’Internationale chantées dehors. « Georges Lazzarino (…) avec l’aide des responsables du syndicat CGT des métaux, avaient lancé un appel aux ouvriers des chantiers (CAP) pour arrêter le travail et se rendre aux Martigues. » D’après Jean Scarulli, plus d’un millier de manifestants étaient là, avec Clément Mille, conseiller général, en tête du cortège, qui fut reçu par la police. Le refus de la libération des jeunes communistes provoqua une bagarre entre les ouvriers et les nombreux CRS. Alors seulement les deux militants furent relâchés.
Sur le plan professionnel, Jean-Marie Argiolas continua à enchaîner des contrats de travail courts de 1945 à 1950 : docker pour les ports de Marseille, manœuvre pour la Société Baudet, Donon et Roussel (qui construisait des ponts), ouvrier de BTP pour la Société régionale du bâtiment, facteur pour les PTT. En 1948, il était syndiqué à la CGT, comme l’atteste une photo prise à l’occasion d’un stage de formation syndicale avec Antoine Santoru. De 1950 à 1952, il conserva exceptionnellement une même activité pendant deux années consécutives : boiseur chez Chagnaud et fils. Cette grande instabilité matérielle fit dire plus tard à sa femme que comme beaucoup de ses camarades il appelait facilement à faire grève, n'hésitant pas à monter sur un tonneau pour réclamer des gants ou des bottes de travail. Les patrons les poussaient vers la sortie, quand ils ne partaient pas d'eux-mêmes. Il lui aurait donc été difficile de conserver un emploi. En mars 1951, Paulette Tassy et Jean-Marie Argiolas se fiancèrent, en présence d'Antoine Santoru et de Joséphine « Fifi » Ros, sa future femme. Fifi et Paulette militaient ensemble à l'UJFF. Ils se marièrent le 15 septembre. Entre 1951 à 1953, le couple vécut deux ans à Istres, dans un deux-pièces chez des camarades, Félix et Flora Pizzella. En militant dans la section locale, ils fréquentèrent le cheminot Raymond Blanc, futur secrétaire de la section de Miramas.
Dans les années 1950, Jean-Marie Argiolas siégea au comité de section du PCF de Port-de-Bouc (Scarulli). L'opposition à la politique « impérialiste » des USA menée par le parti le fit participer à la campagne de 1952 contre la venue en France du général Ridgway, commandant en chef des forces de l'ONU. Avec des camarades il réalisa de nuit des graffitis à la peinture au minium le long des routes. Alors qu'ils avaient été arrêtés par la police, il refusa de décliner son identité et passa la nuit au commissariat. Sa femme, enceinte de leur premier enfant, s'inquiéta de sa disparition. Quarante ans plus tard il retrouvera un de ces « Ridgway Go Home » qu'ils avaient inscrit sur un mur de la commune d'Istres.

Préoccupée par leur avenir, Paulette Argiolas se confia à son père cheminot. Marius Tassy conseilla à Jean-Marie de postuler à la SNCF. Il commença à y travailler le 20 septembre 1952 avec le grade d'auxiliaire-cantonnier avec un salaire de 95 F de l’heure. Il adhéra à la CGT des cheminots. En octobre naissait le premier enfant enfant du couple Argiolas, Brigitte, à la maternité des Chantiers et Ateliers de Provence, ouverte quelques mois plus tôt. Ils emménagèrent peu après dans la commune, dans un logement précaire du quartier de la Tranchée. Ils eurent comme voisins Antoine Santoru et Fifi Ros, mariés et devenus parents eux aussi. En février 1956, on leur attribua un logement dans une cité SNCF, boulevard Pierre Semard.
La famille s'agrandit de deux fils : Serge en 1956 et Fabien en 1959. La même année elle déménagea à Montélimar (Drôme) où Jean-Marie avait été muté. Il suivit pendant un mois à Paris l’école des caténaires pour une remise à niveau de ses connaissances, puis fut muté une nouvelle fois, à sa demande, à Miramas (Bouches-du-Rhône), à la brigade des caténaires. On avait besoin de personnel pour l'électrification Arles-Miramas-Marseille.

Les Argiolas s'installèrent définitivement au 6 rue Henri Lang, le 14 juillet 1960, dans les bâtiments neufs de la cité SNCF Fontlongue. Au mois d’août, il demandait une avance de cinq cents nouveaux francs pour acheter un cyclomoteur pour se rendre à son travail.
Jean-Marie Argiolas se révéla être un zélé recruteur pour le syndicat, comme l'illustre un récit du cheminot René Caramini. Ce dernier, muté à Miramas cette année-là, témoigna que dès son arrivée en gare, Argiolas lui faisait sa carte de membre avant même sa prise de fonctions. Il relayait également les ventes annuelles des agendas de l'ONCF (Orphelinat national des chemins de fer de France) auprès de ses collègues pour soutenir la structure.
Le 22 avril 1961, le frère de Paulette Argiolas épousa à Port-de-Bouc une des filles d'Albert Domenech. Le couple Argiolas se rendit directement de la noce au rassemblement contre les « factieux » d'Algérie, organisé devant la mairie à l'appel de la section communiste locale.

Au mois d'août, Jean-Marie Argiolas fit avec deux autres cheminots de Miramas, Roger Confetti et Raymond Pocheville, un voyage en URSS, qu'ils avaient gagné grâce à un concours de boules de la CGT. Ce séjour de dix jours s'acheva pour eux par un bain de foule sur la Place rouge pour accueillir le cosmonaute Guerman Titov qui venait de faire dix-sept fois le tour de la terre. À la tribune étaient présents Nikita Khrouchtchev, Youri Gagarine, Titov et Jacques Duclos. Les trois hommes en revinrent fortement impressionnés. Le récit de leur voyage fit l'objet d'une série de trois articles dans le journal communiste régional La Marseillaise. Argiolas fut d'ailleurs correspondant local du quotidien à plusieurs reprises, photographiant les événements qui avaient lieu à Miramas, aussi bien les manifestations politiques que les mariages des camarades (comme celui de son ami Caramini). En date du 27 septembre 1983, une carte de La Marseillaise qui lui fut envoyée suggère qu'il en était à nouveau correspondant.
D'après des compte-rendus de réunions, il faisait partie à la SNCF, entre mai 1966 et avril 1968 au moins, de la cellule communiste Marcel Cachin. En faisaient également partie : Jean Astier, Gérard Fabrier, Roger Juana, Jean Pédinielli, François Pintori et Raymond Perrot. D'autres encore en étaient membres, comme Borel, Boutière, Collet, Dijaux, Noguez, Ortega, Reminder, Santini et Tournier, sans que leurs prénoms ne soient cités.
Il y aurait eu alors 12 cellules du PCF à Miramas, dont 4 cellules de cheminots et 8 cellules de quartiers. La structuration des cellules d'entreprise à la gare de Miramas évolua par la suite.
Argiolas s'impliqua dans toutes les campagnes électorales de son parti, autant au niveau national qu’au niveau plus local. Sa femme fit partie des trois militantes mises en avant lors des municipales de 1965 sur la liste menée par le menuisier Louis Cote.

De l'avis de plusieurs anciens responsables locaux, Jean-Marie Argiolas participait volontiers aux collages et aux actions un peu spéciales, qui font appel à des militants de confiance, expérimentés et casse-cous. Il aimait le contact humain et transmettre aux plus jeunes. Il milita d'ailleurs avec ses deux fils, Serge et Fabien. Sa fille Brigitte milita d'abord à Miramas puis à Martigues. Ce n'était pas un orateur, mais un gestionnaire. Il s'occupait du matériel, des stocks et du budget, unanimement reconnu pour sa bonne humeur, son côté serviable et la constance de son engagement. En février 1981 il était trésorier de la section du PCF de Miramas. Il le resta durant plusieurs années. Le 11 avril 1981, il était au meeting de Georges Marchais au stade Vélodrome de Marseille, tenant la banderole de la section de Miramas.
L'opposition à la guerre fut un de ses fils conducteurs. Les souvenirs rédigés par sa femme en 2000 suggèrent qu'il était membre du Mouvement de la Paix en 1958. En plus des manifestations contre la guerre d'Algérie, on le voit sur des photos de manifestations contre les missiles du plateau d'Albion en 1965-66 et contre la guerre du Vietnam en 1967 aux côtés du comité de la Paix de Miramas (publiée dans L'Unité, journal de la section locale). Au-delà des actions officielles, il prit part cette même année à des actions nocturnes destinées à faire des inscriptions murales à la chaux le long des routes et près des voies ferrées. Une quinzaine de militants auraient été présents au total, parmi lesquels Argiolas, Jean Pédinielli, Eugène Clément, Georges Thorrand et des membres des Jeunesses communistes de Miramas, dont Dominique Pédinielli (fils de Jean).

Argiolas s'était alors fait suspendre à une corde dans le vide pour peindre « US Go Home » sur un pont. On l’aperçoit à la manifestation marseillaise qui eut lieu en amont de la « Fête pour la Paix » (lancée par l'Appel des 100) du 19 juin 1983 contre l'installation de fusées Pershing américaines en Europe.
Il s’impliqua dans l’élaboration du journal mensuel du syndicat des cheminots de Miramas, Le Cheminot de la Crau. À partir de septembre 1968 et pendant deux ans, il sollicita régulièrement la participation de sa fille, qui préparait un BEP de sténodactylo, pour taper les textes à la machine sur du stencil, tandis qu’il faisait les titres au normographe. Le journal était ensuite tiré sur une ronéo. Selon Roger Morard, Le Cheminot de la Crau comportait un édito rédigé par le secrétaire du syndicat et des articles techniques, venant des sections syndicales et rédigés eux par les responsables des différents services. Diffusé au-delà de la seule SNCF et paru jusqu’au milieu des années 1980, sa taille aurait varié de deux à six pages selon les époques.
Selon Francis Nardy, Argiolas assura la trésorerie du syndicat des cheminots de Miramas pendant une douzaine d’années. Après le congrès fédéral des cheminots CGT de 1970, il fut élu (ou réélu) dans ses fonctions au sein de la nouvelle équipe de direction. André Maurin fut élu secrétaire général, Francis Nardy secrétaire général adjoint, Edmond Charpail secrétaire adjoint, Roger Morard secrétaire adjoint (pour les questions d’organisation) et Jean-Claude Vighetti trésorier adjoint. « C'était un bon trésorier, assurait Nardy, parce qu'il fallait pleurer pour avoir quelque chose... », un avis confirmé par Roger Morard. Cette année-là il était passé maître ouvrier principal aux caténaires. Il participa à deux congrès nationaux de la Fédération des cheminots CGT à Paris : d'abord en janvier 1968 avec Charpail et Raymond Perrot ; puis en novembre 1973 avec Roger Jach, Georges Santana et Nardy. Il aurait quitté ses fonctions de trésorier vers 1976-77 (Nardy). C'est Vighetti qui lui succéda.

Pendant plusieurs décennies, Jean-Marie Argiolas se rendit régulièrement à la Fête de l'Humanité pour animer le stand des Bouches-du-Rhône. Les premières années il y allait avec un Citroën TUB après être passé chez René Caramini pour charger une grande quantité de matériel électrique. Les cheminots communistes de Miramas prévoyaient large pour être en mesure d'en prêter aux camarades d'autres stands qui en manquaient. Plusieurs militants (certains étaient à l'époque des adolescents ou de jeunes adultes) témoignèrent des trajets pleins de rebondissements en sa compagnie sur les plus de 700 km qui séparaient Miramas de La Courneuve. Les ressentis concordent sur certains de ses traits de caractère : familier avec les camarades de sa génération, strict avec les jeunes dont il avait la responsabilité, un peu tête-en-l'air, original, blagueur autant que très sérieux dès lors que le travail militant commençait. Il était de plus investi dans les fêtes de la section du PCF de Miramas et celles de La Marseillaise.
C'est plusieurs décennies aussi que dura sa profonde amitié avec Roger Juana. Les deux hommes étaient collègues de travail, camarades de parti et de syndicat. Paulette Argiolas et Dany Juana se fréquentaient par ailleurs à l'UFF. Les deux couples partirent en vacances ensemble à de nombreuses reprises, d'abord avec leurs enfants, puis sans eux.

En 1977, la SNCF lui remit la médaille d’honneur des chemins de fer en argent. Il prit sa retraite le 31 mars 1979, le même jour que son ami Jean Pédinielli, avec le statut de maître agent d'entretien à la brigade des caténaires. De mai 1981 à juin 1984, il fut chargé de mener les campagnes d'information de la mairie dirigée par l'équipe de Georges Thorrand auprès de la population. Il coordonnait l'affichage en ville et dans les commerces, la distribution du bulletin d'informations municipales, la promotion dans les villes voisines et jusqu'aux alentours de l'étang de Berre des « Soirées du Vieux-Miramas », qui donnaient à voir dans la commune des artistes de stature nationale ou internationale. Pendant deux ans il eut dans son groupe son camarade et ami Nilo Bertacca. Engagé dans les activités de la section des cheminots retraités de la CGT, puis dans celle des vétérans du PCF, il passa une retraite active, tant du point de vue de ses loisirs que de celui du militantisme. Il continua à être présent lors des grandes grèves en 1986 et en 1995. Il se rendit à des rassemblements régionaux (Marseille), nationaux (Paris) ou européens (Bruxelles) pour défendre les droits des cheminots et lorsque les retraites ou la Sécurité sociale étaient menacées. À quatre-vingt-dix ans passés il allait encore manifester, jusqu'à ce qu'il se décidât à « laisser la place aux jeunes ».
En 2018, on lui diagnostiqua un cholangiocarcinome (cancer du canal cholédoque), pathologie à laquelle on associait une espérance de vie de six mois. Il vécut deux ans de plus, gardant son appétit, et mourut confiné aux soins palliatifs de l’hôpital de Salon, pendant la pandémie de covid-19. Son enterrement se fit en petit comité au vu des quatre générations de militants qu’il avait connus. Nombre de ses camarades âgé-es restèrent chez eux, craignant de tomber malades à un moment où les règles sanitaires étaient particulièrement strictes. L’événement se déroula en présence de Frédéric Vigouroux, maire socialiste de Miramas. Roger Morard lui rendit hommage au nom du PCF et de la CGT des cheminots. Jean-Claude Reynaud portait le drapeau de la section communiste et David Reynaud celui du syndicat.
Sources : Arch. Nat., Dossier de naturalisation d’Angelo Argiolas et Baptistine Cesaraccio, N°22330 x 38. — Archives familiales. — Certificats de travail de l'intéressé. — Documents militaires. — SHD Pau, Centre des archives du personnel militaire. — Service Archives et Documentation SNCF (SARDO). — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, 1 W 3119 n°309. — « Trois Miramassens en Union Soviétique », La Marseillaise, trois articles en août 1961. — L'Unité n°5, journal de section du PCF de Miramas, décembre 1967. — Roland Joly, Antoine ou la passion d’une vie : Une histoire de Port de Bouc, ville mosaïque, auto-édition, 2005 (pp. 71, 73-74). — Jo Ros et René Brocca, Pierre Brocca partage sa vie et sa passion des boules..., auto-édition, 2017. — Jean Scarulli, Une vie bien remplie : Je suis un émigré, auto-édition, 2010 (pp. 67, 70, 87-90, 138-139). — Joseph Brando, « Notes d'histoire vécue à Port-de-Bouc durant l'occupation allemande de 1940 à 1945 » (non publié, sans date). — Souvenirs de Paulette Argiolas (non publié). — Témoignages de sa femme Paulette Argiolas, sa sœur Élisabeth Brocca et sa fille Brigitte Argiolas. — Propos recueillis auprès de Jean-Luc Bernat, René Caramini, Denise Clément, Marlène Laye (née Fabrier), Francis Nardy, Roger Morard et Dominique Pédinielli. — Données sur l'année 1945 sur un blog consacré à l’histoire du 8e bataillon de zouaves en Afrique du Nord.
1ere version pour Le Maitron : 18 novembre 2022.
2e version : 1er janvier 2024.
3e version : 27 mai 2025.
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