ARGIOLAS Paul, Joseph
Dernière mise à jour : 26 janv.
[Cette biographie s'inspire d'un texte originellement écrit par Claude Pennetier. Je l'ai complété, en mettant en gras mes propres apports pour pouvoir les distinguer.]
Né le 7 juin 1922 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 28 octobre 2016 à Toulon (Var) ; docker puis journaliste ; syndicaliste CGT ; militant communiste des Bouches-du-Rhône, conseiller municipal de Port-de-Bouc (1947-1953), responsable de l’UJRF de Port-de-Bouc jusqu’en 1950, membre du comité fédéral du PCF des Bouches-du-Rhône puis secrétaire de la fédération communiste du Var ; rédacteur en chef de La Marseillaise dans les années 1950, puis directeur du Petit Varois ; résistant des Francs-Tireurs et Partisans français et des Forces unies de la jeunesse patriotique.
Paul Argiolas était le fils d’un couple d’immigrés sardes qui s’étaient rencontrés à l’Estaque au début des années 1920. Son père, Angelo Argiolas, originaire d’Oniferi (province de Nuoro), fut docker et manœuvre ; sa mère, Battistina Cesaraccio, née à Busachi (province d’Oristano), fut cantinière, femme de ménage, puis sans profession. Frère aîné de Jean-Marie, né en 1924, qui fut docker et cheminot, de Pascaline, née en 1926, employée de bureau, et d’Élisabeth*, née en 1930, qui fut brièvement employée des PTT.
Il fit des études jusqu’au niveau du brevet élémentaire. Le 13 juillet 1939, la famille Argiolas était naturalisée française avec effet collectif (parution au Journal officiel le 23 juillet 1939). Mise à part la mère qui n’aurait été que sympathisante, tous furent des militants du Parti communiste.
Paul Argiolas travailla comme chanfreineur, riveur, métallurgiste, grutier, employé et docker. Il adhéra à la CGT en avril 1937.
Son domicile fut perquisitionné en 1940. Affecté dans l’armée d’armistice après la défaite militaire française, il fut accusé de propos défaitistes. Il rejoignit les FTP en juin 1943 sous le matricule 71.044, puis les Jeunesses communistes et le Parti communiste au mois de novembre.
Il milita sous le pseudonyme de "Jacques". Nommé "polo" (politique) de cellule, membre d’un triangle de section, il distribua des tracts, diffusa la presse clandestine et fit des inscriptions murales. En 1944, on lui demanda de participer au tirage du matériel de propagande à son domicile. Responsable syndical au triangle de direction de Port-de-Bouc, il participa à l’organisation d’une grève des métallurgistes le 25 mai 1944. Il eut des responsabilités aux FUJP (Forces unies de la jeunesse patriotique) comme chef de trentaine. Afin d’échapper aux recherches, il se cacha un temps chez le cheminot communiste Marius Tassy.
Pour son action de résistant, il obtint un diplôme décerné par le comité militaire national des Francs-tireurs et partisans français, signé par Charles Tillon, ayant droit ainsi "à la reconnaissance de la patrie libérée". Engagé volontaire le 1er septembre 1944, il obtint le grade de sergent avant d’être démobilisé le 22 décembre 1945. Les récits de deux militants port-de-boucains, Joseph Brando et Antoine Santoru, évoquent le parcours qu’il fit en s’engageant dans l’armée de libération, avec son frère Jean-Marie et A. Santoru, au sein du 3e régiment Rhône et Durance, composé de FTP et de FFI et cantonné à Arles. Ils y côtoyèrent également Maurice Garenq et Manuel Mateu.
En 1947, un responsable politique notait à son sujet : "Bon travail dans la clandestinité. Éducation politique assez poussée. Bon travail au sein du Parti, responsable de l’UJRF (Union des jeunesses républicaines françaises). Peut devenir un cadre de notre Parti." (il restera responsable de l’UJRF de Port-de-Bouc jusqu’en 1950).
La même année 1947, il fut d'ailleurs élu au comité fédéral du PCF des Bouches-du-Rhône.
Au mois d'octobre, il était candidat aux élections municipales de Port-de-Bouc et fut élu dans l’équipe de René Rieubon. Le Parti communiste français lui fit suivre une école centrale de quatre mois de novembre 1948 à mars 1949, expérience difficile en raison de son faible bagage théorique de départ et de sa faible expérience.
Son dossier au Service historique de la Défense de Vincennes renseigne sur sa situation après la guerre. Célibataire, il vivait dans le quartier des Comtes. Il parlait espagnol et italien, était employé de bureau aux Chantiers et Ateliers de Provence (CAP) et avait été surveillant de fabrication à l’usine Kuhlmann. En mai 1949, il fut homologué caporal par la IXe région militaire.
En juin 1949, un conflit important opposa les travailleurs des CAP à leur direction. Selon Jean Domenichino, cette dernière désirait supprimer une prime de 3000 F accordée au lancement des bateaux, ce qui correspondait à une perte d’environ 20 % de revenu pour les ouvriers. L'objectif était également de briser l’influence du syndicat CGT des Métaux pour revenir aux conditions de travail d’avant-guerre. Le mouvement contre le lock-out décidé par la direction mobilisa dans toute la commune et bien au-delà de Port-de-Bouc. Paul Argiolas était un élément actif du syndicat. Sa mère Baptistine était quant à elle très investie dans le comité des femmes solidaires des ouvriers. Au terme d’un bras de fer de quatre mois perdu par la CGT, la direction des CAP saisit l’opportunité de se débarrasser des leaders syndicaux. Paul Argiolas fut alors licencié. Le parti le muta à Marseille, où il fut affecté au poste de rédacteur en chef de La Marseillaise.
Il s’était marié le 23 juillet 1949 à Port-de-Bouc avec Catherine Brocca, adhérente au PCF depuis 1948. Le couple eut deux fils, Bernard et Robert.
Le nom de Paul Argiolas est lié aux suites de la catastrophe de l’usine Saint-Gobain, dans la rue Albert Rey, en février 1950. Le 9 février, alors qu’environ 15 000 personnes défilaient pour les obsèques des victimes – dont les trois fillettes de la conseillère municipale communiste Delphine Giovannini – un homme identifié par la police comme étant Paul Argiolas fit sortir le commissaire de police Emmanuelli du cortège funèbre. Le maire René Rieubon fut contacté après ça par plusieurs représentants de l’État lui demandant d’intervenir. Le 3 mars 1950, le conseil municipal se réunit pour une séance exceptionnelle sur cette question. Le Directeur de la Police, appuyé par le Sous-préfet d’Aix-en-Provence, exigeait que Paul Argiolas adressât une lettre d’excuses au commissaire. D’autre part, il était demandé à la municipalité d’intervenir auprès de La Marseillaise pour faire cesser la campagne de presse autour de l’accident. L’assemblée répondit unanimement qu’il n’y avait aucune preuve que Paul Argiolas fût le responsable, tout en affirmant sa solidarité avec l’action : "quelle que soit l’identité de celui que vous estimez coupable, nous pensons qu’il a eu raison."
Les faits mentionnés dans l’argumentaire municipal informent sur le climat politique : "Le soir même de la catastrophe, M. le commissaire Emmanuelli faisait téléphoner à la préfecture un compte-rendu où il spécifiait que les décès touchaient principalement des familles de militants communistes. Nous nous en voudrions d’insister sur cette façon de mettre sur de petits cadavres une étiquette qui, dans de telles circonstances, tend à les différencier, dans l’esprit de ce fonctionnaire, du reste de l’humanité." La municipalité suggérait que le commissaire aurait fait une affaire personnelle de persécuter Delphine Giovannini, "mère des trois petites victimes, grièvement blessée elle-même en leur portant secours", attribuant au policier "un ressentiment certain motivé par l’action qu’elle mène au sein des organisations démocratiques (ne l’avait-il pas arrêtée le 25 novembre et relâchée que sur l’intervention des adjoints au maire de Port-de-Bouc ?)". Le dernier point développé rappelle le contexte anticommuniste de la Guerre froide : "Le lendemain de la catastrophe, des journaux qui ont pour habitude de publier fidèlement les communiqués des commissariats ou de la Préfecture, donnaient de la catastrophe, des interprétations qui pouvaient, soit atténuer la responsabilité de l’usine, soit même faire croire à un attentat communiste." En conclusion, l’assemblée posa que le commissaire n’avait pas sa place dans ce cortège, que l’usine Saint-Gobain était entièrement responsable du drame, tout en dénonçant le fait"que les premières poursuites engagées par le gouvernement le [soient] contre une personne [Paul Argiolas] qui a agi au nom des victimes."
Entre la Libération et les années 1950, le PCF des Bouches-du-Rhône souffrit d’une baisse de ses effectifs militants et des ventes de ses journaux. Le besoin de recruter de nouveaux adhérents vit s’affronter deux positions. Serge Agostinelli, secrétaire de la section de Mazargues (Marseille, 9e arr.), se montra partisan d’un assouplissement des conditions d’entrée au parti, proposant de pouvoir recruter celles et ceux qui avaient un seul point d’accord avec l’organisation. À l’inverse, prendre sa carte signifiait pour Paul Argiolas être en accord avec tous ses principes. Le 7 janvier 1951, il exprima dans Provence-Nouvelle que toute attitude de compromis mènerait à "renoncer à avoir un parti monolithe combatif", vantant "l’unité idéologique, l’unité de pensée absolument nécessaires à un parti révolutionnaire, à un parti d’avant-garde."
Le 5 novembre 1954, quatre jours après les attentats de la Toussaint Rouge, considérés comme le début de la guerre d’indépendance algérienne, il cosigna avec Marcel Guizard, directeur de La Marseillaise, une tribune intitulée "Oui, il y a un problème algérien". Paul Argiolas était alors membre du comité fédéral du PCF des Bouches-du-Rhône. Ils écrivaient : "La vérité qu’il faut rappeler sans cesse, est que l’Algérie n’est pas la France. Tout la différencie de notre pays : ses traditions, sa langue, sa culture, sa religion, son climat, son mode de vie. […] Depuis 1830, par la force, par la douceur et la ruse, tous les moyens ont été mis en œuvre pour assimiler le peuple algérien, le ‘‘franciser’’, le christianiser. Toutes ces tentatives ont échoué". Ils ajoutaient en conclusion : "Il y a aujourd’hui, en un mot, la ténacité et le courage admirables d’un peuple que 125 ans d’oppression colonialiste n’ont pas pu abattre et qui a le droit, comme tous les peuples, à la liberté et à l’indépendance." Selon l’historien Fabien Bénézech, la Fédération communiste des Bouches-du-Rhône avait "élaboré un "anticolonialisme hybride", tolérant dans ses rangs l’expression ponctuelle de revendications indépendantistes conjuguée aux mots d’ordre de guerre froide (anticapitalisme, lutte contre l’impérialisme américain et pour la paix)." Paul Argiolas fut d’ailleurs, avec Marcel Guizard et Pierre Emmanuelli, parmi les seuls représentants de la presse à accéder à la direction fédérale des Bouches-du-Rhône (Jean-Claude Lahaxe). Son nom apparaît jusqu'en 1954 dans la liste des membres du comité fédéral.
S’installant dans le Var, Paul Argiolas y poursuivit sa carrière politique. De 1956 à 1966, il fut le directeur du Petit Varois. Pendant cette période, Il fut en tant que journaliste interdit de séjour en Algérie, et dut faire face à Toulon aux menaces de l’OAS. Il fit l’essentiel de sa carrière politique dans le Var, comme membre du bureau fédéral (1957-1982) et secrétaire fédéral à la propagande (1965-1976). Il siégea au bureau fédéral jusqu’en 1982 et fut membre de la commission fédérale de contrôle financier jusqu¹en 1990. Il dirigea et organisa des écoles fédérales du PCF dans les années 1970 et fut candidat du PCF aux élections cantonales de 1973 à Toulon. Il fut notamment un des organisateurs, dans les années 1960, des fêtes de la fédération à la “Terre promise“ à Toulon puis à Fabrégas (commune de La Seyne-sur-Mer). Il fut aussi un des coordinateurs des actions clandestines du réseau d’exfiltrations des militants communistes grecs au moment du gouvernement des colonels en Grèce (1967-1974) et participa à des missions de communistes français en Grèce à la même époque.
Paul Argiolas était par ailleurs membre du bureau du conseil d’administration d’une coopérative de construction d’HLM, "La Prolétarienne".
Dans son carnet, l’Humanité des 10-13 novembre 2016 lui rendit hommage.
Sources : Arch. comité national PCF. — Arch. mun. Port-de-Bouc. — Archives Famille Giovannini : Séance du 3 mars 1950 (conseil municipal de Port-de-Bouc). — SHD Vincennes, GR 16 P 16732. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 23 juillet 1939 (71e année, N°172), p. 9363. — Collectif, Communistes dans les Bouches-du-Rhône : 1920-2020, Un siècle au service des luttes et du bien commun, Fédération du PCF des Bouches-du-Rhône/Association Former Transformer Partager, 2020, 428 p. — Jean Domenichino, Une ville en chantier : La construction navale à Port-de-Bouc, Edisud, 1989. — Roland Joly, Antoine ou La passion d’une vie : Une histoire de Port-de-Bouc, ville mosaïque, auto-édition, 2005. — Fabien Bénézech, « Communistes et Algériens à Marseille, de la Toussaint Rouge à la crise du 13 mai 1958. Résistance(s) commune(s) ou occasions manquées ? » in Alg.Héritages, Marseille-Alger : allers et retours (coord. Gérard Leidet et Bernard Régaudiat), Promemo/Syllepse, 2022, 345 p. — Jean-Claude Lahaxe, Les Communistes à Marseille à l’apogée de la guerre froide : 1949-1954, Publications de l’Université de Provence, 2006, 292 p. (Le temps de l’histoire). — Paulette Argiolas, Souvenirs et notes, 2000 (non publié). — Joseph Brando, « Notes d’histoire vécue à Port-de-Bouc durant l’occupation allemande de 1940 à 1945 » (sans date, non publié). — Renseignements fournis par l’intéressé transmis par un de ses fils et par Jacques Girault. — Site Match ID, Acte n°2194, Source INSEE : fichier 2016, ligne n°538670.
1ere version pour Le Maitron par Claude Pennetier : 23 novembre 2020.
2e version complétée par moi pour Le Maitron : 4 septembre 2022.
3e version : 28 décembre 2023.
Posts récents
Voir toutNé le 27 novembre 1893 à Castiglione Messer Raimondo (province de Teramo) dans les Abruzzes (Italie), mort le 15 novembre 1943 à Fourques...
[Cette biographie s'inspire d'un texte originellement écrit par Antoine Olivesi et Jean-Marie Guillon ainsi que d’un article signé Louis...
Comments