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Renaud Poulain-Argiolas

MELI Rina [née GIAMPIETRI Rina, Dina, Maria]

Dernière mise à jour : 31 oct.

Née le 3 décembre 1908 à Sorbolo (province de Parme) en Émilie-Romagne (Italie), morte le 9 octobre 2000 à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ; femme au foyer ; militante communiste de Martigues (Bouches-du-Rhône) ; militante de l'Union des femmes françaises (UFF) ; membre du Comité local de Libération de Martigues.


Femmes de l’UFF à la Libération. Sous la banderole, Rina Meli, en manteau noir, sourit à l’objectif.

Les parents de Rina Giampietri étaient originaires du nord de l'Italie : Luigi Giampietri, né à Bibbiano, dans la province de Reggio d’Émilie en Émilie-Romagne, était cultivateur ; Marina Paia, née à San Leonardo, dans l'actuel district de Parme, était sans profession. Elle était l'aînée d'une fratrie de neuf enfants : Renata (née en 1910), Pierre (1912), Amilcare (1914), Antonio (1916), Roberto (1919), Rosette (1921), Floriana (1927) et Giorgio (1929).


Rina Giampietri n'avait que treize ans à l'arrivée au pouvoir de Mussolini, mais, jeune adulte, elle était hostile au régime fasciste. Dans des notes personnelles (non publiées) qu'elle rédigea plus tard sur sa vie, elle évoqua le souvenir de militants victimes des fascistes et des anecdotes, comme la construction en 1930 à Parme d'un monument aux "morts pour la patrie" de la Première guerre mondiale : "sur un grand boulevard qui relie la Pilotta au pont qui traversait le fleuve (...), on fit poser une grande statue de femme." Début novembre, peu de temps avant l'inauguration du monument, elle marchait à 6h du matin dans le brouillard pour se rendre à son travail : "J’entendis des cris et des gens courir. Je ne voyais pas à deux mètres et je fis comme les autres : je courus tant que je pus traverser le champ de Mars, entrer en coup de vent et refermer la porte sur les poursuivants." Elle explique ce mouvement de foule par une opération de répression des autorités à un acte de résistance communiste : "On avait trouvé la statue du monument porteuse d’un superbe drapeau rouge. Huit ans après l’avènement du fascisme, la classe ouvrière montrait qu’elle ne désarmait pas." Selon elle, des centaines d’antifascistes auraient été emprisonnés suite à cette action. Ce qui la fait conclure par : "Lors de l’inauguration du monument, les prisons de Parme et Modène étaient bondées, mais l’espoir renaissait dans tous les cœurs." De mémoire familiale, Rina Giampietri et son futur mari Giacomino Meli furent persécutés par les fascistes pour leurs convictions politiques avant d'émigrer en France. Étaient-ils membres du Parti communiste italien ou seulement sympathisants ?


Rina Giampietri s’installa officiellement en France le 24 janvier 1931, à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône). Elle vivait vraisemblablement en union libre avec Giacomino Meli, car ils eurent un fils, Ferdinand, Louis, Primo Meli, rue Nostradamus, en septembre de cette année-là. Le 5 avril 1933, ils se marièrent dans la commune, légitimant la naissance de leur enfant et demandant le même jour sa naturalisation française. Ils étaient domiciliés dans le quartier du Tennis. Les Meli habitèrent cinq ans à Saint-Rémy. En juillet 1935, ils firent une demande de naturalisation française les concernant. Logeant dans le quartier Mortisson, pour justifier leur requête ils déclaraient n’avoir jamais fait l’objet de mesures de police, ni leurs proches de remarques relatives à leur moralité, ils fournirent un « certificat de bonnes vie et mœurs » et une déclaration de non condamnation. Rina Meli était sans profession. Elle certifiait être assimilée à la population française, parler correctement le français et avoir perdu tout espoir de retour dans son pays.


En décembre 1936, un second fils, Émile, Léon Meli, vit le jour à Martigues (Bouches-du-Rhône), chemin des Espérelles, nouvelle adresse de la famille.

Dans les années 1930, les rangs des communistes à Martigues étaient assez clairsemés et bien inférieurs à ceux des socialistes de la SFIO. Prenant le relais d’un groupe de militants très isolés dans les années 1920 (Vincent Lorenzi, Armand Giannetti, R. Lacamara...), ce sont des personnes venues travailler dans les grandes entreprises (comme Gabriel Mouttet) et des Italiens réfugiés politiques comme les Meli qui assuraient une présence communiste. Ces derniers avaient créé un Comité italien antifasciste composé d’une cinquantaine de membres, dirigé par Filippo Pappatico et diffusant le journal Il Griddo del popolo (Le Cri du peuple). La cellule était rattachée au rayon de Port-de-Bouc. Elle ne vivait que par l’action de quelques militants qui vendaient l’Humanité et Rouge-Midi. Sans local, elle fixait son siège dans des bars successifs.


Rina et Giacomino Meli furent naturalisés le 4 août 1939 (annonce au Journal officiel le 13 août 1939), soit quelques semaines avant la Seconde guerre mondiale. Le prénom de Giacomino sera francisé en Jacques.


À l’automne 1939, Rina Meli vécut très difficilement les conséquences du traité de non-agression germano-soviétique, précisant : "Le pacte a été une catastrophe. Les gens traitaient les communistes de nazis..." Connu pour ses idées politiques, le couple était surveillé par les autorités. Un rapport de la brigade de gendarmerie de Martigues, faisant suite à une demande d’enquête du sous-préfet d’Aix-en-Provence et daté du 13 avril 1940, contenait deux témoignages sur les militants. Joseph Ressegaire, 47 ans, garde-champêtre à Martigues, disait les avoir vus lors d’une réunion publique de solidarité avec la République espagnole, à la salle de la Cascade, vers la fin de la guerre civile. Rina Meli y avait vendu des billets de tombola au profit des républicains. Mireille Dumont et Émile Blanc (il pourrait s'agir d’Étienne Blanc), "chef du rayon communiste de la cellule de Port-de-Bouc", y avaient pris la parole. Le témoin, dont les préjugés anticommunistes transparaissaient, précisait que Rina Meli avait "très fortement critiqué M. Daladier (…) pour son refus d’accorder l’aide matérielle et financière, de son gouvernement, à l’Espagne rouge." La réunion avait, aux dires du garde-champêtre, attiré un public important, essentiellement "des Espagnols de Martigues, quelques Italiens et peu de Français, ceux-ci, membres du parti extrémiste de gauche" et s’était achevée par la projection d’un film muet "de persuasion à la cause". Le second témoin était Éloi Roubieu, 51 ans, contremaître à l’usine à gaz de Martigues, où travaillait Jacques Meli. Il confirmait que Rina Meli avait pris la parole fin 1938 dans une réunion publique à la salle de la Cascade. Le rapport ajoutait, de manière plus générale, que Rina Meli "avait pris part aux manifestations et défilés publics à Martigues, fréquentait les réunions syndicales et communistes tenues dans diverses salles et en plein air" et qu’elle était domiciliée 40 rue Rolland à Martigues.

Suite à la démobilisation de juin 1940, Paul-Baptistin Lombard prit à Martigues l’initiative de la reconstruction clandestine du PCF auquel il avait récemment adhéré. Il recontacta d’anciens ouvriers membres du parti ou de la CGT avant leur interdiction. Parmi eux : Albert Domenech et Marcel Olive (raffinerie de La Mède), Maurice Tessé et Antoine Blanc (raffinerie de Lavéra), Marius Gouirand (huilerie Verminck), Gabino Garcia (port de Caronte), mais aussi Jacques et Rina Meli.


Le régime de Vichy, en place depuis le 10 juillet 1940, appliqua sa « révolution nationale » par une politique de dénaturalisation. La loi du 22 juillet 1940 remettait en cause toutes les acquisitions de nationalité française depuis la loi du 10 août 1927. Environ un million de Français étaient concernés, menacés d’être mis au ban de la communauté nationale. En quatre ans, 15 154 personnes perdirent la qualité de Français, la plupart étant juifs ou communistes. Le 9 juillet 1942, la commission de révision des naturalisations du ministère de la Justice donna un avis favorable à la dénaturalisation de Jacques et Rina Meli, ainsi que de leurs deux enfants. Une note précisait : "Mari et femme signalés comme communistes militants, particulièrement acharnés pendant la guerre d’Espagne." La dénaturalisation fut effective le 6 février 1943 (annonce au Journal officiel le 19 février 1943). C’est le commissaire de police de Martigues Roger Marcelli qui informa les intéressés le 12 avril 1943. Les Meli avaient eu un troisième fils le 6 mai 1940, Serge, Antoine Meli. Ce dernier, né français, ne fut donc pas dénaturalisé comme ses frères. Il sera plus tard militant du PCF et de la CGT.


Le témoignage de Rina Meli recueilli par l'historien Jacky Rabatel atteste de l’atmosphère assez particulière qui régna autour de l’étang de Berre à partir de novembre 1942 entre la population et les troupes allemandes. Comme les autorités locales entretenaient des relations qui tendaient au strict minimum avec la puissance occupante, elle raconta que les deux gendarmes qui venaient régulièrement chez elle faire des perquisitions lui affirmèrent que les dossiers de gendarmerie ne seraient pas transmis aux Allemands.


Le 24 mai 1944, le Comité français de libération nationale abrogea la loi de dénaturalisation appliquée par Vichy. Le couple retrouva donc la nationalité française.


Carte de membre du Front national de Rina Meli (signée par Georges Galdy)

Si on ignore les contours précis de l’action de Rina Meli dans la résistance martégale, sa présence au nom de l’Union des femmes françaises (UFF) dans le Comité de la Résistance, (équivalent d'un Comité local de Libération), présidé par Georges Galdy, suggère qu’elle y joua un rôle important. Bien que Jacky Rabatel n’ait pas trouvé de liste complète de ses membres, il semblerait que Rina Meli en ait été la seule femme. Le Comité de la Résistance, installé à côté de la mairie, dirigea la commune du 21 au 27 août 1944, après quoi il céda la place à un Comité d’administration provisoire, présidé par Max Payssé. Le Comité de la Résistance ne disparut pas pour autant et se donna une existence plus légale en tant que Comité local de Libération. Georges Galdy donna le détail de sa composition au 10 décembre 1944, lors de l'assemblée patriotique : "M. Georges Galdy, chef du personnel (Front national) ; M. André, instituteur (MLN-MUR) ; M. Mouttet Gabriel, ouvrier (PCF) ; M. Boyer Théodore (Parti socialiste) ; M. Orlandini Honoré, ouvrier (Socialiste indépendant) ; M. Castanie Albert, ingénieur (FUFP) ; Mme Meli Rina, ménagère (UFF) ; M. Olive Marcel (CGT)." Rina Meli fut choisie par l’assemblée comme personnalité représentant des mouvements et corporations importantes de la ville pour faire partie de la commission chargée de recueillir les doléances de la population. Celles-ci devaient être transmises à la municipalité, au Comité départemental de Libération puis à Paris. Dans cette commission de seize membres, elle était encore la seule femme.


Carte du PCF de 1945 (avec les portraits de grands dirigeants du parti sur les timbres)

En automne 1944, Rina Meli était membre du PCF sorti de la clandestinité. À partir de novembre, elle faisait partie du Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France, présidé localement par Georges Galdy. En 1945, elle appartenait à la cellule communiste Paul Lombard et vivait 3 rue Philippe Jourde, dans le quartier de Jonquières.


Fidèle à son engagement communiste, elle fut en outre une figure remarquée de l’UFF de Martigues pendant plusieurs décennies, aux côtés de Marie-Louise Moulin, Césarie Lombard ou Marie-Louise Maîtrerobert. Pendant l’hiver 1957-1958, elle fit partie de trois délégations de femmes reçues par M. Pagès, conseiller général communiste, puis au cabinet du préfet à Marseille. Elles étaient mères de soldats de Martigues et de Port-de-Bouc venues déposer des résolutions pour la paix en Algérie, ou déléguées désignées aux assises du logement, qui avaient eu lieu quelques jours avant, "pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation désastreuse du logement à Martigues." Parmi ces femmes, il y avait également Fifi Domenech, Delphine Giovannini et Paulette Tassy.


Femmes de Martigues et Port-de-Bouc. La Marseillaise, hiver 1957. Rina Meli est debout, au bord à droite.

L’UFF martégale fut à l’origine de la création du centre social Eugénie Cotton en 1958, puis d’une halte d’enfants en 1966, pour améliorer la vie des femmes dans la commune. L’un et l’autre étaient situés sur le boulevard du 14 Juillet. Deux ans après son inauguration, la halte recevait une moyenne mensuelle de cinq cents enfants. Deux haltes supplémentaires furent inaugurées plus tard, leur gestion étant toujours assurée par l’UFF.


Sources : Archives familiales. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 13 août 1939 (71e année, N°190), p. 10326. — Journal officiel de l’État français. Lois et décrets, 19 février 1943 (75e année, N°43), p. 485. — Archives nationales en ligne, BB/27/1422-BB/27/1445 (dénaturalisés de Vichy : lettres J à N). — « Pour la paix en Algérie » article de La Marseillaise [date coupée, « hiver 1957 » ajouté à la main] (Archives Argiolas). — Interview de Marie-Louise Maîtrerobert (conseillère municipale et secrétaire locale de l’UFF), Bulletin municipal N°3 de Martigues, 1969 (Arch. mun. Martigues). — Gérard Noiriel, Quand Vichy dénaturalisait les Français [à propos de Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy de Claire Zalc], Genèses 2018/2 (n° 111), pp. 163-169 (en ligne sur cairn.info). — Jacky Rabatel, Une ville du Midi sous l'Occupation, Martigues : 1939-1945, Centre de Développement Artistique et Culturel, 1986 (pp. 35, 65, 102, 187, 224, 280, 291, 303, 355-356). — Propos recueillis auprès de Sandrine Scognamiglio (petite-fille de l’intéressée). — Site Généanet.


1ere version pour Le Maitron : 19 novembre 2021.

2e version : 1er décembre 2023.





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Passionné d'histoire, j'ai collaboré pendant plusieurs années au Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - mouvement social.

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