PAPPATICO Philippe [PAPPATICO Filippo, francisé en Philippe]
Né le 10 mai 1909 à Rizziconi (province de Reggio de Calabre), en Calabre (Italie), mort le 17 février 1995 à Martigues (Bouches-du-Rhône) ; maçon puis électricien ; syndicaliste CGT, créateur du syndicat de BP Lavéra en 1935 ; militant communiste de Martigues ; partisan lors de la libération de l’Italie.
Le nom de famille de Filippo Pappatico est orthographié avec un ou deux P selon les sources. Le recensement de la population de Martigues de 1931 permet de reconstituer une partie de son foyer familial d’origine, domicilié au 4 rue de l’École vieille dans le quartier de L’Île : Giovanni Pappatico (le chef de famille), né en 1872, terrassier à La Mède ; Carmela Pappatico, née Calipa (son épouse), née en 1884 ; leurs enfants : Dominique (1914), Antoinette (1916), Antoine (1918), Joseph (1921) et Théodore (1922). Il était mentionné que tous étaient nés en Italie, sans précision sur leurs lieux de naissance. Les deux premiers enfants du couple n’y apparaissent pas, dont Philippe. Âgé de vingt-deux ans, il ne vivait plus chez ses parents. Sur le même registre de recensement on trouve un autre foyer dans le quartier de Ferrières, au 5 route de Saint-Mitre : Domenica Pappatico (la sœur aînée), née en 1905 à Rizziconi, y vivait avec son mari Annunziato Trunfio (lui aussi italien), journalier à l’usine Verminck, et leurs deux enfants.
Au début des années 1920, le Parti communiste n’était représenté à Martigues que par un petit groupe de militants isolés (Vincent Lorenzi, A. Gianetti, R. Lacamara...). Dans les années 1930, la relève fut prise par des militants venus travailler dans les grandes entreprises, comme Gabriel Mouttet, et des réfugiés politiques italiens, comme Jacques et Rina Meli ou encore Paul Mudadu. Un Comité italien antifasciste fut créé, comportant une cinquantaine de membres, mené par Philippe Pappatico, qui diffusait Il Griddo del popolo (Le Cri du peuple). Sans local ni matériel, cette cellule ne vivait que par l’action de quelques militants, distribuant l’Humanité et Rouge-Midi. Elle était rattachée au rayon de Port-de-Bouc, où ses tracts étaient tirés, et fixa son siège dans des bars successifs, dont le Bar du Cours, puis un local de la rue de l’École vieille, éclairé par une lampe à carbure. Un militant de cette époque confia que les communistes étaient perçus comme "le parti de l’étranger et des étrangers", avec une faible influence, comme le suggère son score de 40 voix aux élections législatives de 1932.
D’après son propre témoignage, Philippe Pappatico avait d’abord travaillé à Martigues dans le cadre de l’installation de la ligne électrique. A la fin du chantier on avait proposé aux ouvriers d’aller en Algérie ou de « se débaucher, sans aucune indemnité ». Il était parti pour Draguignan (Var), où il avait été embauché dans la maçonnerie chez un petit patron qui n’avait que deux ouvriers. Une expérience de travail très dure qu’il qualifiait de « vie de chien ». A partir de 1933, il travailla pour la raffinerie de Lavéra à la journée. L’activité commençait à peine : il n’y avait alors que des bureaux, des arbres étaient coupés et des emplacements délimités. Lui y était maçon. 500 à 600 ouvriers étaient employés par l’entreprise, pour l’essentiel des Italiens, des Espagnols, des Grecs et des Portugais, assez peu de Français et quelques Algériens. Même si les journées au chantier duraient théoriquement 8h, les ouvriers faisaient en réalité 10h de travail quotidien harassant, traités « comme des bêtes de somme » et pressés par l’urgence. Pappatico gagnait 2,75 francs de l’heure. A plusieurs reprises il demanda une augmentation au patron, qui répondait toujours inflexible : « Tu n’es pas content, tu vas à la porte. » Le nombre de candidats à l’embauche et l’absence de syndicat dans l’entreprise ne jouaient pas en faveur des revendications ouvrières.
Révolté par les conditions de travail à la BP, il se rendit en 1935 à la Bourse du Travail de Marseille. Il rencontra Charles Nédélec et Pierre Doize. Ces derniers lui remirent des cartes de la CGT pour créer un syndicat. Néanmoins, ses collègues craignant les représailles du patron, les adhésions se firent d’abord de manière clandestine. Leur première réunion officielle eut lieu à Martigues au Bar du Cours. Les informateurs du patron de la raffinerie rapportèrent que, contrairement à son pronostic, le bar était plein. Au terme de la discussion, les ouvriers formèrent leur premier bureau syndical. Moins d’une semaine plus tard, le patron proposa à Philippe Pappatico un salaire horaire de 4 francs s’il consentait à renoncer au syndicat. Le nouveau délégué CGT refusa toute augmentation individuelle et continua à militer pour une augmentation collective. La même année eut lieu un violent incendie sur la colline de La Vierge (emplacement actuel de l’hôpital de Martigues). On fit appel aux ouvriers des usines pour lutter contre les flammes. Lorsque M. Farrail, le directeur de la raffinerie, appela Pappatico quelques jours plus tard, celui-ci pensa qu’on allait le renvoyer pour son activité militante. Au lieu de ça, on lui remit un diplôme pour le récompenser de ses bons services.
Lors du mouvement de grèves de 1936, les ouvriers de la raffinerie occupèrent le dépôt pour bloquer l’expédition du pétrole. Des camarades de syndicat de Pappatico passèrent une nuit à la Préfecture de Marseille pour signer le protocole d’accord avec la direction. En plus des augmentations salariales demandées, ils obtinrent deux semaines de congés payés, les 40 heures et le doublement du salaire pour le travail de nuit. Au-delà des stricts acquis matériels, les ouvriers de la raffinerie avaient alors également gagné le droit à la parole. Il vécut avec une grande émotion ses premières vacances en 1936 à Draguignan où il avait de la famille, puis les années suivantes dans le Gers et les Hautes-Pyrénées.
Une photo de groupe datant de 1938 indique que Dominique Pappatico, frère de Philippe, travaillait lui aussi à la raffinerie de Lavéra à cette époque. Après les accords de Munich, les patrons se mirent à licencier sans indemnité et à la BP les militants les plus actifs comme Paul-Baptistin Lombard, Maunier, Titain et Philippe Pappatico furent mis dehors lors de la grève du 30 novembre. La direction fit trier les ouvriers à l’entrée de l’entreprise, laissant dehors ceux qu’elle considérait comme des meneurs. Pappatico et ses camarades se firent embaucher un temps comme dockers sur les quais de Caronte. Une nouvelle grève en leur faveur leur permit de revenir à la raffinerie.
Suite au pacte germano-soviétique d’août 1939, la CGT décida en septembre d’exclure les communistes de ses rangs, puis le PCF et ses filiales furent dissous, les membres de ces organisations pouvant être internés sur simple décision du préfet. À la préfecture, une section spéciale dirigée par un commissaire divisionnaire fut chargée de faire appliquer ces mesures. On installa un commissaire spécial à Port-de-Bouc ayant Martigues dans son secteur. Des fichiers précis furent établis en collaboration avec la gendarmerie et la police. Dans le département, il y eut 71 élus déchus de leur mandat, 95 internements, 510 perquisitions, 210 retraits d’« affectation spéciale » suivis de l’envoi des intéressés sur le front, des retraits de naturalisation et de nombreuses expulsions de communistes étrangers. À Martigues, en plus du Parti communiste, un arrêté préfectoral décréta la dissolution des principaux syndicats CGT (Union Locale, chimie, bâtiment, dockers, douaniers), jugés « d’obédience communiste » et « n’ayant pas désavoué le pacte ».
Après la déclaration de guerre, Pappatico fut licencié une nouvelle fois. Il reçut de plus un avis d’expulsion, selon lui du fait de son appartenance à une brigade antifasciste. Refusant de quitter le pays, il se cacha à Draguignan. De source familiale, il était alors marié à une Hélène, originaire de cette ville, avec qui il avait eu trois enfants. Trois communistes de Martigues furent arrêtés, dont Philippe Pappatico. Le journal local Le Var se fit l’écho de son passage devant le Tribunal correctionnel pour avoir ignoré l’arrêté d’expulsion. Il fut incarcéré six mois à la prison de Draguignan avant d’être transféré au Fort Saint-Nicolas à Marseille. Bénéficiant d’un non-lieu, on le relâcha en lui donnant 15 jours pour quitter la France. Arrêté une nouvelle fois, il fut interné au camp de Remoulins (Gard), puis à celui du Vernet (Ariège). Au bout d’un an, on lui proposa d’aller travailler en Allemagne dans le cadre du STO. Il refusa et fut alors expulsé en 1941 en Italie.
Le tribunal militaire de Reggio de Calabre le condamna à 5 ans de "confino" (exil dans une île). Libéré en 1943 par le gouvernement Badoglio, il participa à la libération de l’Italie aux côtés des partisans avant de retourner dans sa commune d’origine. Il y rencontra Angela Rizzo, dite Lina, sa seconde femme, avec qui il eut cinq enfants. Revenant à Martigues avec elle vers 1946, il fut de nouveau embauché à la raffinerie de Lavéra avec d’anciens camarades grâce à la loi d’amnistie. Malgré sa volonté de voir prise en compte son ancienneté, il eut le sentiment que le droit à la parole et les libertés avaient régressé à ce qu’ils étaient avant le Front populaire. À deux reprises il demanda à être naturalisé français. Toutefois ces demandes n’aboutirent pas. Aux dires de sa nièce, avant la guerre il avait souhaité s’engager dans l’armée, mais n’avait pas pu le faire faute d’avoir la nationalité française. Délégué CGT pendant de nombreuses années, il poursuivit son engagement syndical jusqu’à sa retraite en 1969.
D’après le site « Archivio centrale dello Stato » mettant en ligne des éléments déclassifiés des archives de police italienne, Filippo Pappatico est connu pour la période 1938-1942 en tant que communiste, agriculteur, « confiné » et inscrit à la rubrique frontière.
Dans sa partie Titres, homologations et services pour faits de résistance, le site « Mémoire des Hommes » mentionne un Philippe Pappatico, né à Rizziconi en 1907. Le Service historique de la Défense de Vincennes contient des informations le concernant, mais il s’agirait là d’un cousin germain : leurs pères étaient frères et, selon sa nièce, la famille avait l’habitude de nommer Filippo (Philippe) le premier garçon d’une fratrie. Le Pappatico évoqué par "Mémoire des Hommes" serait celui qui est enterré au cimetière de Port-de-Bouc sous le patronyme Papatico (avec un seul P). Mort en 1977, il repose aux côtés de sa femme Anna (née Patti) qu’il épousa en 1933.
Le Journal officiel de la République du 12 juillet 1931 annonce la naturalisation française d’un Filippo Pappatico, né en 1907 et domicilié à Bougie (Constantine), en Algérie. De source familiale, il ne s’agirait pas là non plus du communiste martégal, qui est enterré lui au cimetière de Canto-Perdrix, à Martigues.
Sources : Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, busta 3725, estremi cronologici 1938-1942 (non consulté). — Bulletin de liaison n°41 des activités culturelles du comité d’établissement SF-BP de Lavéra (contenant un témoignage de l’intéressé) : « De 1933 à 1945 à la raffinerie : Souvenirs d’un retraité », octobre 1986. — Jacky Rabatel, Une ville du Midi sous l’Occupation : Martigues, 1939-1945, Centre de Développement Artistique et Culturel, 1986 (p. 35, 64, 392). — Le Var, article du 21 avril 1940. — Recensement de la population, Martigues, 1931, 6M510. — Données du site Filae (acte de décès n°68). — « Philippe Papatico : une vie au service des autres », La Marseillaise, mars 1995. — Propos recueillis auprès d’une de ses nièces le 31 janvier 2021. — [Concernant les parents et homonymes] Mémoire des Hommes, SHD Vincennes, GR 16 P 457070 (nc). — Journal officiel de la République française. Lois et décrets du 12 juillet 1931 (63e année, N°162), p. 7618. — Données du site Généanet : Relevés collaboratifs, Mariage de Philippe Papatico et Anna Patti le 8 juillet 1933 à Châteauneuf-Grasse (Alpes-Maritimes).
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