TASSY Marius, Étienne, Baptistin
- Renaud Poulain-Argiolas
- 12 déc. 2023
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour
Né le 27 décembre 1905 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 8 mai 1982 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ; cultivateur puis cheminot ; syndicaliste CGT, secrétaire du syndicat des cheminots de Port-de-Bouc, responsable de la section des cheminots retraités ; militant communiste de Miramas (Bouches-du-Rhône) puis de Port-de-Bouc ; conseiller municipal de Port-de-Bouc (1953-1965) ; résistant du Parti communiste clandestin.

Marius Tassy était le fils de Gustave Jules Tassy, cultivateur natif d’Entrecasteaux (Var) et de Marie Virginie Poésy, née à Beuil (Alpes-Maritimes), qui fut domestique puis cultivatrice avec son mari à La Verdière (Var). Il avait une sœur prénommée Valentine, son aînée de dix-huit mois. À sept ans, Marius perdit sa mère. Lui et sa sœur furent alors séparés. Le garçon fut recueilli par Louis et Félicie Pourchier, un oncle et une tante qui vivaient à Peynier (Bouches-du-Rhône). Il y apprit le travail agricole. Valentine, placée chez leur tante Marie Bouis à Coudoux, fut mise à l’orphelinat chez les sœurs quelques mois plus tard. La Première Guerre mondiale éclata peu de temps après. Beaucoup d’instituteurs étant mobilisés, Marius Tassy fréquenta assez peu les bancs de l’école. Pour se faire de l’argent, il allait travailler chez les paysans des environs en le cachant à son oncle.
En novembre 1925, il fut affecté au 23e régiment d’infanterie pour accomplir son service militaire. Son commandant lui apprit que sa sœur allait entrer dans les ordres et lui proposa une permission pour se rendre à la cérémonie à Aix-en-Provence. La nouvelle le mit dans une grande colère, car il avait précédemment fait promettre à Valentine de ne pas entrer au couvent. Pourtant elle n’avait vécu que chez les sœurs de huit à vingt-et-un ans. Il était présent à Coblence (Koblenz, Allemagne) au titre de l’occupation militaire interalliée de la Ruhr qui faisait suite au traité de Versailles. Nommé soldat de 1ere classe en novembre 1926, il rentra dans ses foyers, à Peynier, en mai 1927 après avoir obtenu un certificat de bonne conduite.
En janvier 1930, Marius Tassy commença à travailler pour la compagnie de chemin de fer PLM (Paris-Lyon-Méditerranée). Auxilaire de brigades au mois de mars, il passait le mois d’après homme d’équipe à l’essai en gare de Miramas avec 607,50 F de traitements mensuels. Un an plus tard, il était homme d’équipe pour un salaire annuel de 8600 F.
Il s’était marié à Peynier le 18 février 1930 avec Juliette Alexandrine Marsiglia, issue d’une famille de bouchers. Ils avaient déménagé à Miramas, où ils étaient domiciliés au n°16 de l’avenue d’Istres en mai 1931. Le couple aura deux enfants : Paulette en 1931 et Yves en 1937. Sa fille aura un long parcours militant (voir Paulette Argiolas).
Comme ils connaissaient peu de monde à Miramas, les Tassy se lièrent d'abord avec les ruraux originaires de Peynier comme eux. Marius sympathisa avec les oncles de leur propriétaire à Miramas, les frères Gavaudan (voir Édouard Gavaudan), liés aux idées communistes. Après son travail à la gare, il les aidait à faire les foins dans leur champ, à l'emplacement actuel du stade Méano. Miramas était une commune rurale où l'activité industrielle était concentrée autour de la gare. En mars 1937, il devint brigadier de manœuvre pour un salaire annuel de 9820 F.
Adhérent à la CGT, Marius Tassy participa avec enthousiasme aux rassemblements de 1936 et aux grèves de 1938. Il était également militant du PCF et identifié comme tel par les autorités. À la fin de l’année 1939, son nom apparaissait sur une liste de 27 pages dressée par la sous-préfecture d’Istres d’individus domiciliés dans les Bouches-du-Rhône ayant été membres du Parti communiste avant sa dissolution. Quarante-quatre d'entre eux étaient des cheminots, dont Tassy, qualifié de "propagandiste dangereux". Le 5 novembre 1939, il était rayé de l’affectation spéciale, une sanction fréquente à l’encontre des cheminots communistes. Alors qu’ils étaient destinés à assurer le bon fonctionnement des infrastructures nécessaires à l’économie de guerre, le gouvernement choisissait de les envoyer au combat. Son camarade Alfred Pinoncély, secrétaire adjoint du syndicat CGT des cheminots de Miramas et rayé lui aussi de l’affectation spéciale, aura moins de chance et sera tué dans la Somme.
Le 26 novembre 1939, il était affecté au dépôt d’infanterie 153, puis envoyé en renfort le jour de Noël au 615e régiment de pionniers, attaché au 15e corps d’armée qui était intégré à la ligne Maginot. Les régiments de pionniers étaient des unités de travailleurs âgés tenus de renforcer les positions militaires et d’aménager la défense passive en protégeant les points sensibles. Ne possédant peu d’armement et des équipements anciens, ils étaient parfois envoyés au combat comme unités d’appoint pour l’infanterie. Le 3 janvier 1940, Tassy passait à la classe de mobilisation de 1921 en tant que père de deux enfants. Au 1er juin 1940, son régiment comptait 42 officiers, 148 sous-officiers et 1850 hommes de troupe, équipés de 133 chevaux ou mules, 61 remorques hippo, un véhicule de liaison, 16 camionnettes, 10 motos et 32 bicyclettes. Marius Tassy fut porté malade le 26 juin et évacué à l’hôpital de Grasse. Il en sortit le 27 juillet. Démobilisé le 9 septembre 1940, il rentra dans ses foyers à Miramas.
Pendant qu’il était au front, la direction du PLM écrivit à sa femme pour réclamer la restitution de cartes de transports qui permettaient à leur famille de se déplacer gratuitement. Juliette Tassy refusa. En juillet 1941, Tassy fut nommé sous-chef de manœuvre à Port-de-Bouc avec un salaire de 10 650 F annuels. Comme il faisait les 3x8, il prit une chambre sur place chez un autre cheminot, M. Durand. Son domicile de Miramas fut perquisitionné en son absence par cinq hommes de « La Cinquième », la police ferroviaire, qui se firent passer pour des assureurs afin qu’on les laissât entrer. Ce n’est qu’une fois à l’intérieur qu’ils annoncèrent le but de leur visite : le cheminot était suspecté du vol de la moitié d’une locomotive, accusation pour le moins fantaisiste. On peut s’en douter : la police ferroviaire ne trouva pas ce qu'elle disait chercher.

Le 2 août 1941, le nom de Tassy figurait dans un rapport du commissaire principal de première classe Seignard, chef des services de la Police spéciale de Marseille, adressé à l'intendant régional de police, réalisé à la demande de ce dernier et contenant une liste de vingt-huit cheminots communistes de Miramas. Certains des noms cités sont ceux de conseillers municipaux déchus début 1940 suite au pacte germano-soviétique.
En août 1942, la famille Tassy emménagea aux cités SNCF de Port-de-Bouc au 16 rue de la Gafette. Leur appartement leur donnait accès à un niveau de confort plus élevé : quatre pièces (trois chambres et une cuisine spacieuse), un grand WC, un lavoir dans la cour, ainsi qu'un grand jardin dans lequel le cheminot fit un potager. D’après sa fille, Marius Tassy aurait rejoint le Parti communiste clandestin, dirigé localement par Charles Scarpelli, durant l’année 1942. Au mois de novembre, l’armée allemande défilait dans la ville. En tant que cheminot, il disposait d’un Ausweiss (laisser-passer) l’autorisant à sortir régulièrement après le couvre-feu de 20h pour faire face aux cas de déraillements.

Ce n’est qu’après la Libération que sa famille découvrit qu’il faisait partie d’un triangle de résistance cheminote actif sur le triage de Caronte, avec César Cauvin et un certain Carrière, et que ses obligations professionnelles nocturnes faisaient office de couverture pour les actions illicites. Une nuit, il se cacha dans le canal pour échapper à la vigilance des Allemands, alors qu'il ne savait pas nager. En 1943, lorsque sa famille fut évacuée sur ordre de l’occupant et qu’il fut seul dans son logement, Marius Tassy hébergea des militants recherchés comme Paul Argiolas et Georges Lazzarino. Il cacha également un cheminot blessé, Louis Michon, qui préféra rester chez lui plutôt que d'être conduit à l’hôpital où on l’aurait inévitablement arrêté. Dans la clandestinité il fréquenta aussi Michel Borio.
Le fait que les archives du Service historique de la Défense de Vincennes ne possèdent pas de dossier à son nom suggère qu’il ne fît pas de démarche auprès du ministère pour faire reconnaître ses services dans la Résistance. Il reçut toutefois un certificat d’appartenance aux FFI en date du 15 octobre 1946, signé par le général de division Olleris, commandant la 9e région militaire, et le colonel Simon, ex-chef régional FFI Région 2, pour ses services accomplis du 8 mars 1944 au 31 août 1944. Ce document figure dans son dossier aux archives du personnel de la SNCF de Béziers.
Après la guerre, Marius Tassy s’engagea davantage sur le plan syndical. Il recevait chez lui autant César Cauvin que Charles Scarpelli et Joseph Nunez dit "Zè" (tous communistes), les deux derniers étant investis dans la gestion ouvrière du chantier naval de Port-de-Bouc. Les hommes passaient souvent la soirée ensemble jusqu’à tard dans la nuit. Lorsque César Cauvin partit à la retraite, Tassy le remplaça au secrétariat du syndicat CGT des cheminots.

Au niveau politique, il fut candidat sur la liste menée aux municipales par René Rieubon au printemps 1953. Il fit deux mandats consécutifs de conseiller municipal jusqu’en 1965.

Suite à un accident de travail, on lui retira un rein en 1957. La SNCF lui aménagea un poste de manutention à l’huilerie Verminck de Caronte. Passionné de pêche, il passait une partie de son temps libre au bord de l’eau. Il était apprécié de ses camarades de travail, qui lui offrirent d’ailleurs une canne à pêche et un moulinet lors de son pot de départ à la retraite fin 1960. Préoccupé par la guerre d’Algérie (son fils avait été mobilisé), il fit savoir son émotion de recevoir un tel cadeau, mais que son plaisir aurait été plus grand encore s'il avait vu ses collègues s'unir face aux sombres événements à venir. Il terminait sa carrière avec le grade de SCMN en janvier 1961.
![Rassemblement contre les factieux devant la mairie de Port-de-Bouc, avril 1961. Tassy est visible sur le bord gauche. Au centre, de part et d'autre de l'homme moustachu, on peut voir à gauche René Rieubon et à droite Jean Scarulli [coupure de La Marseillaise]](https://static.wixstatic.com/media/080998_6ab2f69f9ce147578de05ae8c2ed4c11~mv2.jpg/v1/fill/w_980,h_663,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/080998_6ab2f69f9ce147578de05ae8c2ed4c11~mv2.jpg)
Marius Tassy participa à différentes initiatives pour la paix en Algérie et pour s’opposer au putsch des généraux, comme les rassemblements à Port-de-Bouc d'avril 1961, puis de décembre 1961 et janvier 1962. Une nuit de décembre 1961, l’OAS (Organisation de l’armée secrète), structure d’extrême-droite luttant pour une Algérie française au moyen d’actions terroristes, posa son drapeau devant la mairie de Port-de-Bouc. Elle l’accompagnait d’une affiche mentionnant comme « condamnés à mort » le maire René Rieubon et les conseillers municipaux. La provocation mit la ville en effervescence. En plus d’une grève, les ouvriers répondirent par une manifestation de plusieurs milliers de personnes et la création de milices antifascistes, ouvertes aux « républicains » de différentes sensibilités, qui faisaient des tours de garde pour protéger les édifices publics. D’après le journal La Marseillaise, le 2 janvier 1962 des hommes de main de l’OAS se réunirent dans une rue longeant le canal après avoir mené plusieurs agressions. Une foule manifesta contre eux et une échauffourée eut lieu. De mémoire militante, Marius Tassy aurait attrapé l’un des militants de l’OAS. Le tenant par le col, il lui tapotait la base du nez avec un morceau de câble pour lui faire dénoncer ses complices. Finalement des manifestants auraient jeté l’individu dans le canal. Cette anecdote est corroborée par deux articles du journal, qui précisent que l’agression de l’OAS avait été organisée par la direction « pour le secteur de l’étang de Berre et réalisée en présence d’un membre de la direction Sud-Est et de deux dirigeants pour la zone Sud venus de Lyon pour l’opération. » La Marseillaise précise que les militants d’extrême-droite capturés furent livrés à la police.

Par la suite, Marius Tassy fut responsable de la section des cheminots retraités de Port-de-Bouc. Entre 1963 et 1965, il seconda le concierge de « la Tour », rue Nationale, dans le quartier de La Lèque. Il faisait des rondes pour veiller à l'ordre et à la propreté. Il fut également un temps gardien au camping de Bottaï, dans la partie côtière de la commune. Il y recevait les visiteurs sous une tente. En octobre 1970, il emménagea avec sa femme au rez-de-chaussée du bloc 3 du Groupe Paul Langevin. Ils avaient notamment comme voisins les Domenech (voir Albert et Fifi Domenech) et les Brocca (voir Pierre et Élisabeth Brocca), qui faisaient partie de leur famille.
En 1981, Marius Tassy fut victime d'une hémiplégie. Il mourut quelques mois plus tard. Le 10 mai 1982, son enterrement donna lieu à un rassemblement important avec une forte délégation venue de Miramas. La foule traversa la ville depuis son domicile, marchant jusqu’à la mairie avant de revenir au cimetière communal, drapeaux de la CGT et du PCF déployés. Le maire René Rieubon rendit un vibrant hommage à son courage et à son engagement dans la Résistance.
Marius Tassy est inhumé avec sa femme et leur fille Paulette Argiolas au cimetière de Port-de-Bouc.
Sources : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, Registre matricule, classe 1921, matricule 3722, 1 R 1601 ; 142 W 6 ; ; 76 W 157 (communistes - dissolution du parti - clandestinité). — Service Archives et Documentation SNCF (SARDO). — SHD Vincennes, GR 16 P 74436 (au sujet de Michel Borio). — Archives familiales. — La Marseillaise : articles de 1960 et 1961 (dates coupées) ; « Vigoureuse riposte hier contre les provocateurs de l’OAS », 3 janvier 1962 ; « L’agression fasciste à Port-de-Bouc a été décidée par l’état-major de l’OAS », 4-5 janvier 1962. — Articles nécrologiques de journaux locaux de 1982. — Témoignages d’Yves et Yvette Tassy. — Propos recueillis auprès d’Antoine Ros (mars 2024). — Souvenirs d’enfance de Paulette Argiolas, née Tassy (non publiés), 2000. — Site "25 centimes bleu Semeuse camée : Petit essai de monographie" (sur la Première Guerre mondiale). — Site "Wikimaginot" (sur la Seconde Guerre mondiale). — Notes de Sébastien Avy.
1ere version dans Le Maitron : 19 mai 2021.
2e version : 21 avril 2024.
3e version : 20 juin 2025.
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