BORIO Michel
Dernière mise à jour : 21 avr.
Né le 7 février 1910 à Naples (Italie), mort en 1967 ; docker ; syndicaliste CGT ; militant communiste de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ; résistant des Francs-Tireurs français et Partisans et du Front national de lutte pour la libération ; interné ; évadé ; secrétaire du syndicat CGT des dockers de Port-de-Bouc ; un des acteurs du renouveau du mutualisme de sensibilité communiste.
Italien de naissance, Michel Borio vivait vraisemblablement à Marseille au début des années 1930. Avec sa femme Hélène (1910-1987) il eut une fille prénommée Marcelle, née dans la commune en 1932. Il fut naturalisé français. Sur le plan militaire, il fut officiellement chasseur dans les corps-francs (sous le matricule PM 8.141). En réalité il fut affecté dans l’artillerie côtière marine.
Docker, il était syndicaliste CGT et militant du PCF avant la guerre. En août 1941, il fut contacté par Clément Mille et rejoignit le Parti communiste clandestin à Port-de-Bouc, puis le Front national en 1943 à la demande d’Étienne Blanc. Il participa à la constitution de groupes de trois, à la diffusion de tracts et à la reconstitution de la CGT interdite. Le 11 décembre 1941, il fut arrêté au port sur son lieu de travail, par la gendarmerie, aidée par le commissaire spécial Trouette qui le savait ancien membre du Parti communiste et hostile au gouvernement de Vichy. Interné au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), il y resta jusqu’au 23 mars 1943 et y fit là aussi partie d’un groupe de trois. Par la suite, il fut interné à Bayonne d’où il s’évada le 1er juillet 1943. Il fut donc réfractaire au STO.
Michel Borio prit contact avec le groupe de Corps franc Pommiès, parrainé par l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée - giraudiste) à Aurignac (Haute-Garonne). Au moment du débarquement du 6 juin 1944, il participa à un parachutage et rejoignit le maquis en formation armée. Parmi les nombreuses opérations auxquelles il prit part, on peut mentionner ses "coups de main" à l’usine de pétrole de Saint Marcet en prenant un camion citerne aux Allemands, la libération d’Auch (Gers), des actions à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), sa participation à la formation de la division de Toulouse (Haute-Garonne), des combats en Saône-et-Loire, comme à Autun, et la libération de Dijon en septembre 1944. Il fut libéré du service actif à Chevigny-Saint-Sauveur (Côte-d’Or). Dans la Résistance, il fréquenta particulièrement Étienne Blanc, Marius Tassy, Louis Vallauri, Lucien Giorgetti, Louis Dreuil et le capitaine Barthe.
De retour à Port-de-Bouc, Michel Borio reprit son travail de docker aux Établissements Martitimes de Caronte (EMC). Il était secrétaire du syndicat CGT des dockers de Port-de-Bouc qui incluait les zones de Caronte et de Fos-sur-Mer. Parallèlement à cela, il s’investit dans la cellule communiste des Ports et Docks. Dans le contexte de l’épuration économique et politique, il fut un acteur, avec Joseph Brando, de l’affrontement entre les résistants de la CGT des dockers et la direction de l’entreprise qu’ils accusaient d’avoir travaillé avec zèle avec l’Allemagne durant l’Occupation. Léon Argille, ancien comptable devenu actionnaire principal, était accusé par Brando d’avoir géré un camp de juifs dans le secteur de Martigues-Lavéra (ne s’agirait-il pas plutôt de Croix-Sainte ?) et dénoncé aux autorités les ouvriers rétifs aux conditions de travail inhumaines imposées par l’Organisation Todt (allemande).
En septembre 1944, le Comité local de Libération de Port-de-Bouc chargea Joseph Brando de réorganiser par équipe le syndicat des dockers. Il tenta de faire poursuivre Argille, qui disparut. Avec l’accord de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, les EMC passèrent sous gestion ouvrière. Ce fut Albert Long, comptable de l’entreprise et membre du Front national, qui fut proposé par la CGT au poste de directeur. Il dirigea l’entreprise pendant un an sous le contrôle du syndicat avec dix délégués pour l’épauler, dont Michel Borio, Joseph Brando et Marius Godard. Cette année-là de nombreuses revendications furent satisfaites.
L’année 1945 tourna au désavantage des résistants. De l’avis de Brando dans ses Notes : Long aurait été manœuvré par Argille, l’un comme l’autre auraient été des francs-maçons, les ouvriers apprirent de plus que Long était membre du parti radical. Borio et Brando firent appel au Procureur de la République d'Aix-en-Provence pour faire poursuivre Léon Argille pour son passé. En janvier, Brando fut convoqué à la caserne du Muy pour être démis de ses responsabilités. Le syndicat CGT, lui, fut convoqué à la Préfecture de police de Marseille pour parler avec Argille « sous l'autorité de ses "amis" de la loge maçonnique, présente à la Préfecture » (c’est Brando qui commente). Michel Borio, Clément Mille, Antoine Gallardo, L. Barbayon (ou Barrayon) et Joseph Brando étaient présents. Alors que Barbayon prit Argille à partie, lui reprochant son attitude envers les responsables du syndicat, Clément Mille accepta "naïvement" (selon Brando) qu'il pût revenir par la suite aux EMC. Le dossier communiqué à la Commission nationale d'épuration à Paris avança difficilement. En décembre 1946, l'enquête se poursuivait : des membres de la direction des EMC étaient interrogés et confrontés aux versions d'ouvriers. Comme il fut malaisé de prouver qu’il y avait eu collaboration, l’entreprise retourna aux mains de ses propriétaires. Brando conclut dans ses Notes que les appuis dont Argille bénéficiait auraient fait étouffer l’affaire.
Le secrétariat d’État aux Forces armées adressa à Michel Borio un certificat d’appartenance à Résistance intérieure française (RIF) le 27 août 1948 en tant que membre du Front national pour ses services accomplis d’août 1941 au 1er juillet 1943 (date de son évasion). On lui attribua le grade fictif de caporal. Il était alors domicilié à Port-de-Bouc au 60 rue Albert Rey. En décembre 1954, il obtint le titre de Déportés et internés de la Résistance (DIR).
Au-delà de la place qu’il occupa dans la Résistance, Michel Borio joua un rôle important dans un de ses prolongements directs : l’accès à la santé pour tous et la prévention de tous les risques de la vie, via l'articulation entre la Sécurité sociale et les mutuelles de travailleurs. Joseph Brando raconte s'être inspiré en octobre 1944 du système de solidarité mis en place aux Chantiers et Ateliers de Provence en créant une caisse de secours sur le port. Borio y inclut deux mois plus tard la maladie et l’affilia à la Caisse mutuelle de Marseille. En tant que responsable de l’Union locale CGT de Port-de-Bouc, il fut un initiateur du rapprochement entre la mutuelle des dockers et celle des Chantiers et Ateliers de Provence (CAP) pour constituer la Mutuelle CGT ouverte à tous les Port-de-Boucains. Celle-ci, dépendant d’abord de Marseille, prendra plus tard son autonomie.
Lors du projet de création de la maternité des CAP par leur comité d’entreprise, Michel Borio se montra favorable à ce que la structure ne fût pas réservée aux travailleurs du chantier naval mais accessible à l’ensemble de la population. Des souscriptions furent lancées par les comités d’entreprise (CE) des dockers et des CAP, à l’attention des autres CE, des habitants de Port-de-Bouc et des environs, pour rassembler les fonds nécessaires à la construction de la maternité. Elle ouvrit en 1951. Les accouchements y étaient assurés par Mmes Agard et Escavi, assistées du Docteur Pujol, médecin de la ville, pour les accouchements difficiles.
Par son action, Michel Borio contribua à l’essor de l’Union départementale mutualiste CGT des Bouches-du-Rhône, héritière de la Mutuelle des métallos d’avant-guerre [qui deviendra l’Union départementale mutualiste des travailleurs des Bouches-du-Rhône (UDMT) en 1969]. Pour se faire une idée de son importance, la mutuelle comptait 35 000 adhérents en 1948 dans le département, qui devinrent 500 000 ayants droits à la fin des années 1960. Cela représentait un tiers de la population des Bouches-du-Rhône. Selon le site de la Mutualité française, l’UDMT impulsa "une politique médico-sociale ambitieuse, au travers d'un vaste réseau de centres de santé (…) [proposant] une nouvelle pratique médicale de type social, en rupture avec le modèle libéral." Elle allait s’incarner par "la suppression de la relation hiérarchique et financière entre médecins et malades, la généralisation du tiers payant et le regroupement de nombreuses consultations et d'infrastructures techniques favorisant la démocratisation des soins." Cette politique de santé novatrice porteuse d’un projet de société global allait longtemps servir de modèle dans le monde mutualiste.
Au début des années 1950, un autre projet ambitieux avait été porté par la Mutuelle CGT de Port-de-Bouc : la construction d’un hôpital. Dans les premières années de la Sécurité sociale, l’argent des caisses de secours pouvait être investi en partie dans les œuvres sociales, comme la construction d’hôpitaux ou de centres de santé. Les financements et le terrain avaient été trouvés pour l’hôpital, un architecte en avait fait les plans. Néanmoins, un changement du cadre législatif rendit impossible l’affectation de fonds à autre chose qu’aux prestations destinées aux assurés de la mutuelle. Par conséquent le projet d’hôpital fut abandonné.
Après la fermeture des CAP en 1966, Mme Agard, Mme Escavi et le Dr Pujol assurèrent l’intérim de la gestion de la maternité jusqu’à l’arrivée d’un repreneur. Fondée en 1967, l’association des Amis de la médecine sociale, présidée par Zé Nunez, rachètera la maternité en 1968. Elle sera gérée par l’UDMT.
Si Michel Borio, disparu en 1967, ne put pas voir de son vivant tous les fruits de la politique de solidarité qu’il avait impulsée, la ville de Port-de-Bouc lui rendit hommage en donnant son nom au centre de santé mutualiste ouvert à la fin de l’année 1973, 18 rue Gambetta, dans les locaux de la maternité des CAP qui avait fermé quelques mois auparavant.
Michel Borio est enterré au cimetière communal de Port-de-Bouc aux côtés de son épouse.
Sources : SHD Vincennes, GR 16 P 74436. — Jacky Rabatel, Une ville du Midi sous l’Occupation : Martigues, 1939-1945, Centre de Développement Artistique et Culturel, Martigues, 1986 (pp. 333, 404). — Joseph Brando, Notes d'histoire vécue à Port-de-Bouc durant l'occupation allemande de 1940 à 1945 (non publié, sans date) ; texte sur les Établissements Maritimes de Caronte (non publié, sans date). — Charlotte Siney-Lange, « La naissance des mutuelles ouvrières », site de la Mutualité française. — Cimetière de Port-de-Bouc. — Propos recueillis auprès de René Giorgetti (printemps 2021) et de Colette Ellena (avril 2024).
1ere version : 15 avril 2024.
2e version : 21 avril 2024.
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