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MARESTAN Jean [HAVARD Gaston, dit]

  • Renaud Poulain-Argiolas
  • 11 oct.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 oct.

[Cette biographie s'inspire d'un texte originellement écrit par René Bianco et prolongé par Mariane Enckell. Je l'ai complété, en mettant en gras mes propres apports pour pouvoir les distinguer.]


Né le 5 mai 1874 à Liège (Belgique), mort le 31 mai 1951 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; journaliste, conférencier et écrivain ; militant anarchiste ; vice-président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme des Bouches-du-Rhône ; président d’honneur de la Libre Pensée des Bouches-du-Rhône ; militant néo-malthusien ; franc-maçon ; résistant.


Jean Marestan en 1905 [Archives du CIRA de Marseille]
Jean Marestan en 1905 [Archives du CIRA de Marseille]

Jean Marestan, de son vrai nom Gaston Havard, aurait été le fils naturel d’un médecin belge ; la famille de sa mère, Marie Louise Havard, une Française musicienne et peintre, s’était exilée après la guerre franco-allemande et vivait à Liège au 43 rue de l’Université.


Des revers de fortune l’obligèrent à interrompre des études médicales et il vint à Paris, attiré par les lettres. Il s’installa sur la Butte Montmartre et fréquenta les ateliers de peintres, les milieux artistiques et connut les littérateurs d’avant-garde. Il adhéra très vite au mouvement anarchiste : on trouve son nom dans les carnets de Sébastien Faure en 1894. Il compta parmi les premiers rédacteurs du Libertaire, fondé en février 1895 par Sébastien Faure et Louise Michel. Plus tard, il collabora aussi à l’anarchie (n° 1, 13 avril 1905), organe de Libertad et, peut-on dire, des illégalistes ; mais Marestan dénoncera « le préjugé de l’illégalité » (l’anarchie, 28 janvier 1909) et, dès 1906 — l’affaire Bonnot est de 1912 — il s’élèvera contre « l’espèce d’auréole dont les révolutionnaires, d’esprit plus romanesque que positif, avaient paré la silhouette du trimardeur et de l’assassin » (L’anarchie, 1er novembre 1906).


Marestan fut attiré un moment par les milieux magnético-spirites. C’est à cette occasion qu’il se découvrit des talents de guérisseur, qu’il exerça ensuite pendant longtemps. Il publia en 1901 à Paris une plaquette éditée par la Société des journaux spiritualistes réunis, Le Merveilleux et l’Homme coupé en morceaux.


Il s’installa à Marseille en 1903, 10 boulevard Philippon, et anima le groupe de jeunes sympathisants libertaires Les Précurseurs. Dès cette époque, il commença à se faire connaître comme conférencier. Les problèmes sexuels l’intéressaient avant tout et il se joignit bientôt au groupe des néo-malthusiens, apportant son concours à Génération consciente fondée en 1908 par Eugène Humbert. En 1910, Jean Marestan publiait aux éditions de La Guerre sociale son livre L’Éducation sexuelle qui obtint un réel succès, fut traduit en cinq langues et réédité plusieurs fois en France. À Marseille, l’activité de Jean Marestan fut grande et il devint vice-président de la section des Bouches-du-Rhône de la Ligue des Droits de l’Homme et président d’honneur de la Libre Pensée.


De 1912 à 1913 notamment, il parcourut la France entière, donnant des conférences sur l’éducation sexuelle et le problème des familles nombreuses. Parallèlement, il se dépensait en faveur du mouvement antimilitariste et contre les bagnes militaires qu’il avait eu l’occasion d’approcher au cours d’une enquête en Algérie.

En 1914, il fut mobilisé dès le début des hostilités au 42e régiment d’infanterie à Carqueiranne dans le Var puis au 112e régiment d’infanterie, enfin muté dans le service sanitaire et affecté comme infirmier à l’Hôtel-Dieu à Paris. Le 27 novembre 1915, il se mariait à Marseille avec Berthe Baudin, fille d’un serrurier et d’une mère inconnue.


Après la guerre, Marestan fit de nombreuses conférences dans la région marseillaise et prit part à diverses campagnes de solidarité. Il essaya d’aider Frédéric Frédéric Stackelberg, emprisonné à Marseille en 1919 et gravement malade. Il parla notamment « Pour l’amnistie intégrale, contre la guerre » en mai 1924, avec Germaine Berton et Chazanoff, et sur « Éducation sexuelle intégrale, liberté sexuelle et amour libre » en janvier 1927, avec E. Armand, et fit des causeries sur la libre pensée, le communisme, le soutien aux victimes de la répression en Espagne.

Mais c’est le néo-malthusianisme qui l’occupa avant tout. Une réédition de son livre sur l’éducation sexuelle lui valut en 1920 un contrôle durable de la police, bien qu’il ait proposé de le retirer de la vente et d’en faire une nouvelle version qui n’enfreindrait pas la loi.


Il fut initié à la franc-maçonnerie et fréquenta la loge La Parfaite Union de Marseille. Il était aussi en correspondance avec Max Nettlau, à qui il prêtait des livres et des journaux, et Charles Hotz.


Marestan, qui ne fut, « à aucune époque, un orthodoxe de l’anarchisme » (cf. sa controverse avec Sébastien Faure, La Voix libertaire, octobre-novembre-décembre 1931), éprouva certaines sympathies pour l’URSS comme en témoigna sa polémique avec Voline dans L’En-Dehors (septembre 1932 à janvier 1933). En 1936, après un voyage en URSS, il tenait « pour profondément injuste » de ne pas faire de distinction entre les régimes fascistes d’Italie et d’Allemagne et celui de « l’actuelle Russie rouge, alors même que cette dernière n’aurait pas évolué dans un sens absolument conforme à celui de nos espérances » (La Voix libertaire, 24 octobre 1936).


Après son voyage, il publia un ouvrage, L’Émancipation sexuelle en URSS. Par ailleurs, il rédigea de nombreux articles pour l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure. En juillet 1936, il avait participé au congrès de la Ligue des Droits de l’homme à Dijon.


Après la victoire de la Wehrmacht sur l’armée française, Marestan fut actif dans la Résistance. Il détaillera son parcours dans une demande de certificat d’appartenance aux FFI en 1948. En juin 1940, il était secrétaire général par intérim du quotidien Oran Républicain. Il commença par faire de la propagande individuelle en faveur de la résistance des colonies, en liaison avec les forces anglaises. De retour à Marseille en juillet 1940, il mit un terme à ses activités journalistique et littéraire pour ne pas servir la collaboration, vivant avec son épouse sur les économies qu’ils avaient réussi à faire. Le 22 juillet, il rejoignit la formation clandestine et indépendante de membres du Conseil de la section marseillaise de la Ligue des Droits de l’Homme dans la Résistance. Il distribua des imprimés clandestins en lien avec Joseph Prin-Clary.


En novembre 1942, Yves Farge contacta Marestan pour contribuer à l’organisation clandestine d’un service de vedettes automobiles en Méditerranée. Celui-ci devait permettre de joindre par Fos-sur-Mer et Carro-La Couronne les sous-marins alliés chargés de faire des opérations de liaison et des embarquements clandestins dans le golfe du Lion. Farge confia la tâche de diffuser sous le manteau le livre de Vercors, Le Silence de la Mer, ce qu’il fit dans tous les milieux intellectuels, y compris chez les officiers. Marestan fournit des documents importants à Deroy, alias « Prince » et « Le Capitaine » officier belge du service de renseignement anglais, jusqu’à la disparition de ce dernier en août 1943.


Le 26 février 1943 à 6h du matin, la Gestapo du 425 rue Paradis vint arrêter Jean Marestan à son domicile, alors qu’il souffrait d’une intoxication alimentaire. Ignorant la cause de son arrestation, il soupçonna une dénonciation anonyme « heureusement mal renseignée ». Vingt-cinq résistants furent arrêtés le même jour, selon lui comme otages. On le conduisit à la prison Saint-Pierre, où il fut interné dans la Section allemande pendant plus de trois mois sans autorisation d’écrire à personne. Il fut soumis à un seul interrogatoire le lendemain de son arrestation par des officiers allemands qui semblaient attendre des révélations qu’il ne fit pas. Il ne fut ni jugé ni particulièrement maltraité. De ses conditions de détention il retiendra le surnombre – ils étaient jusqu’à 128 entassés dans la même salle – l’hygiène déplorable – il dût boire de l’eau de voirie – les brutalités, la sous-alimentation et l’insuffisance, voire l’absence de soins médicaux. Il fut l’organisateur, d’abord avec le pasteur Marcel Heuzé et, plus tard, avec Léon Bancal (rédacteur en chef du Petit Marseillais qui co-fondera Le Provençal après la guerre) de causeries quotidiennes pour entretenir le bon moral dans la « grande salle ».


Le 1er juin 1943, Jean Marestan fut libéré à l’occasion de mesures prises par les Allemands – en raison du surpeuplement de la prison, de la menace d’une épidémie de typhus, parce qu’il était un des plus âgés, mais surtout faute de preuves de sa culpabilité. Il rentra le même jour à son domicile. Jusqu’à la Libération, il fut actif au sein de la Ligue des Droits de l’Homme pour la protection des réfugiés, notamment des israélites étrangers. En août 1943, son épouse Berthe fut arrêtée par la police française sur la dénonciation d’une juive autrichienne en situation irrégulière qu’elle avait protégée. Internée au camp de Brens (Tarn), d’après lui « elle n’a dû son salut qu’à son amaigrissement extrême, dû aux privations. »


Dans la clandestinité, Marestan mentionnera avoir fréquenté Edward Gartner, Guy Fabre, le Docteur Francis Beltrami. Au nombre des déportés, internés ou disparus, il citera Joseph Prin-Clary (fusillé à Compiègne en 1943), le docteur Georges Rodocanachi (mort à Buchenwald), le docteur Xavier Fructus (déporté à Flossenbürg), le pasteur Marcel Heuzé (mort lors d’une marche de la mort près de Ravensbrück), le pasteur Roux (probablement Charles Roux mort à Buchenwald), David Mossé (mort à Auschwitz), l’étudiant Houzé et l’ingénieur Jean Fontenaille (mort à Buchenwald).


Jean Marestan en 1948
Jean Marestan en 1948

Après la Libération, il maintint des rapports étroits avec les milieux anarchistes et reprit de l’activité dans les journaux issus de la Résistance. En 1947, il écrivait être titulaire de la carte n°7.531 de la Fédération Nationale des Déportés et Internés de la Résistance (FNDIR) ainsi que de la carte de journaliste professionnel n°1.112.


En février 1948, Marestan remplit un dossier de reconnaissance d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) en tant qu’interné. Il désirait être homologué par le Comité français de Libération, précisant être français par option, marié (ou célibataire selon les documents) et sans enfant vivant. Le nombre important de témoignages joints pour appuyer sa demande donne une idée de sa popularité. Edmond Bounnous, qui vivait dans son immeuble, affirmait avoir assisté à son arrestation et à son retour après sa libération. Hector Barrot, secrétaire général adjoint de la section régionale de la FNDIR, et Paul Giraud, vice-président du Comité directeur des Bouches-du-Rhône du MLN, attestaient avoir été détenus avec lui à la prison Saint-Pierre, tout comme Jacques Cherki, arrêté le même jour que Marestan. Dans le dossier, une copie d’une lettre que lui avait envoyée Yves Farge, devenu entre-temps commissaire de la République à Lyon, était mise en avant. Son ancien compagnon  évoquait leur vieille amitié et ne tarissait pas d’éloges à son sujet.


Lettre d'Yves Farge à son vieux camarade
Lettre d'Yves Farge à son vieux camarade

Jean Marestan fut décoré de la médaille de la Résistance (annonce au JO du 29 janvier 1948). En juin de la même année, le secrétariat d’État aux Forces armées lui adressa un certificat d’appartenance à la RIF pour ses services accomplis de juin 1940 au 1er juin 1943 en tant qu’« isolé ». On lui attribua le grade fictif d’adjudant. Il était toujours domicilié au 10 boulevard Philipon.


En 1949, il effectua, sous l’égide de la Fédération anarchiste, une série de conférences sur « l’Éducation sexuelle », à Clermont-Ferrand, Saint-Étienne et Roanne.


Sources : État civil de Liège, Naissances 1874, Acte n°1409 (Family Search). — État civil de Marseille. — Arch. Nat. F7/13 053. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, 1M805. — SHD, Vincennes GR 16 P 287354. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 29 janvier 1948 (80e année, N°26), p. 939. René Bianco, Bulletin du CIRA-Lausanne n° 15, 1967. — Notes de Thierry Bertrand et de Françoise Fontanelli. — IISG Amsterdam, Eugène Humbert Papers, Max Nettlau Papers.


2e version complétée par moi : 11 octobre 2025.

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Passionné d'histoire, j'ai collaboré pendant plusieurs années au Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - mouvement social.

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