GIOVANNINI Delphine [née CIAMPORCIERO Delphine, Thérèse]
Dernière mise à jour : 19 avr.
Née le 12 mars 1914 à Arles (Bouches-du-Rhône), morte le 6 mai 1991 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ; militante communiste d’Arles et de Port-de-Bouc ; conseillère municipale de Port-de-Bouc (1947-1965) ; une des animatrices de la solidarité des femmes d'ouvriers lors du lock-out des Chantiers et Ateliers de Provence de 1949 ; militante de l’Union des Femmes Françaises (UFF).
Delphine Ciamporciero vit le jour en Camargue dans une cabane de gardian, dans le village de Salin-de-Giraud, dépendant de la commune d'Arles. Elle était l’avant-dernière enfant d’une fratrie de six, qui comprenait aussi : Jean (né en 1902), François (1906), Étienne (1908), Antoine (1912) et Solange (1916). Leur père, Étienne Ciamporciero, était né à Borgo d'Ale (province de Vercelli) dans le Piémont (Italie) en 1876. Leur mère, née Marie-Thérèse Marchetto en 1880 et surnommée "Mariette", était fille de maquignon et elle aussi originaire du Piémont. Comme leur patronyme était difficile à prononcer pour les Français, les voisins les appelaient « Portière ».
Delphine Ciamporciero passa le certificat d’études à l’école du village, la même que fréquenta Maurice Garenq, avec qui elle avait quatre ans d’écart.
Étienne Ciamporciero fut naturalisé français en 1931 (annonce au Journal officiel le 15 novembre), ses trois enfants mineurs, dont Delphine, devenant alors français de plein droit. En juillet 1933, le père reçut une médaille d'honneur en argent pour son travail de machiniste à la compagnie de produits chimiques et électro-métallurgiques Alais, Froges et Camargue (qui deviendra plus tard une usine Péchiney), basée à Salin-de-Giraud. De mémoire familiale, il travailla aussi à la machine qui fournissait l’eau au village. Toujours en juillet 1933, il reçut la médaille d'honneur des sociétés musicales et chorales. Il jouait du trombone dans une fanfare.
Vers 1930, Delphine Ciamporciero rencontra Leonello dit Lionel Giovannini, un Toscan qui avait fui le fascisme avec sa famille. Ils se marièrent le 22 octobre 1932 et eurent, l’année suivante, une fille nommée Fernande. Delphine rejoignit le Parti communiste en 1936. Avec son époux, lui aussi membre du parti, elle s’investit dans le mouvement social aux côtés des ouvriers de Péchiney et Solvay. Pendant la guerre d'Espagne, elle participa aux collectes de lait et de vêtements pour les enfants espagnols, s'opposant à la politique de non-intervention du gouvernement de Léon Blum, dans l'affrontement entre la jeune République et les troupes putschistes du général Franco.
En 1939, la famille Giovannini emménagea dans le quartier de L’Hauture, à Fos-sur-Mer, Lionel y ayant été embauché par la Compagnie des Salins du Midi. Une deuxième enfant, Josette, arriva cette année-là.
En 1940, Lionel reçut un ordre d'expulsion motivé par son statut d'Italien et de communiste. Décidé à rester en France, il se cacha à Fos-sur-Mer dans une manade du Cavaou. Delphine dut faire face aux visites quasi quotidiennes des gendarmes qui voulaient arrêter son mari. Ils vinrent une fois accompagnés d’agents de la Gestapo. Lionel reçut de l’aide du curé de Fos, M. de Blasy, qui lui procura de faux papiers, et s'engagea dans les Francs-Tireurs et Partisans. Selon sa fille aînée, il combattit un an sur le front des Alpes. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Delphine Giovannini se fit embaucher comme ouvrière par la Compagnie des Salins du Midi. Elle réparait les sacs de jute destinés à stocker le sel. En son absence, sa fille Fernande s’occupait de ses sœurs, Josette et Solange, née en 1943.
En février 1946, la famille emménagea à Port-de-Bouc, 79 rue Albert Rey. Elle s’agrandit de la présence d’une quatrième enfant, Marie-Thérèse.
Delphine Giovannini fut candidate sur la liste menée par le communiste René Rieubon aux élections municipales de 1947. Les premières femmes avaient été élues à peine deux ans plus tôt. Elle siégea avec trois autres femmes, Anna Santoru, Hélène Escavi et Colette Granon, sur un total de vingt-trois conseillers.
Sur le plan politique, elle participa aux ventes de Rouge-Midi. Elle aurait suivi une école élémentaire du PCF à Port-de-Bouc et fera partie du comité de section. Comme elle s’était taillé un manteau dans une couverture, dont la couleur et l’épaisseur rappelaient les capotes de l’armée soviétique, des camarades plaisantaient en l’appelant "Staline" lors des réunions du parti.
En 1949, lors du lock-out des Chantiers et Ateliers de Provence (CAP), des centaines de femmes d’ouvriers animèrent la solidarité avec les travailleurs de l'entreprise, comme les collectes de fonds, de vivres et la soupe populaire. Une "marche de la faim" jusqu'à Marseille rassembla environ 3000 personnes. Certaines et certains s’y rendirent à pied, des affrontements avec la police ayant lieu à chaque étape du trajet. Un comité d'accueil féminin attendait quotidiennement le directeur du chantier naval, M. Renvoisié, à la gare de Port-de-Bouc où il arrivait depuis Marseille. Elles lui faisaient une "conduite de Grenoble", le harcelant pour tenter de le faire céder. Delphine Giovannini, dont le mari travaillait au chantier, fut une figure de proue de cette lutte populaire qui dura quatre mois. La mémoire familiale a retenu que lors d’une de ces confrontations, elle aurait mis une chiquenaude dans le chapeau du directeur, alors que celui-ci avait le dos tourné. M. Renvoisié, ayant perdu son couvre-chef, lui aurait demandé si c’était elle qui avait fait ça. Ce à quoi elle aurait répondu par la négative : si ça avait été elle, c’est la tête qu’elle aurait fait tomber. L’échec de la grève entraîna le licenciement des membres de la direction du syndicat du chantier.
Le 7 février 1950, Delphine Giovannini fut frappée par une terrible tragédie. Dans le quartier de la Lèque, un réservoir d'acide de l'usine Saint-Gobain, surplombant la rue, céda. La rue Albert Rey fut engloutie sous une vague corrosive, emportant les trois plus jeunes filles de la conseillère municipale : Marie-Thérèse, quatre ans ; Solange, sept ans ; Josette, onze ans ; ainsi qu'une femme âgée, Madame Baretta. Alertée par le vacarme, la mère se jeta dans l'acide pour tenter de sauver ses enfants. Les fillettes moururent le lendemain.
Environ 15 000 personnes venant de toute la région se rassemblèrent le 9 février pour l’enterrement des victimes de la catastrophe. Un homme, identifié par la police comme étant Paul Argiolas, conseiller municipal communiste, demanda au commissaire Emmanuelli de sortir du cortège funèbre car il n’y était pas le bienvenu. Plusieurs représentants des autorités s’en plaignirent à René Rieubon, ce qui donna lieu le 3 mars à une séance extraordinaire du conseil municipal. Le Directeur de la Police et le Sous-préfet d’Aix-en-Provence exigèrent qu’Argiolas adressât une lettre d’excuses au commissaire Emmanuelli. Par ailleurs, on demanda à la municipalité d’intervenir auprès du journal La Marseillaise pour stopper la campagne de presse autour de l’accident. Les élus défendirent leur collègue à l’unanimité, affirmant qu’il n’y avait aucune preuve que Paul Argiolas fût le responsable et que "quelle que soit l’identité de celui que vous estimez coupable, nous pensons qu’il a eu raison." L’argumentaire des élus dénonçait l’anticommunisme à l’œuvre dans l’affaire : "Le soir même de la catastrophe, M. le commissaire Emmanuelli faisait téléphoner à la préfecture un compte-rendu où il spécifiait que les décès touchaient principalement des familles de militants communistes. Nous nous en voudrions d’insister sur cette façon de mettre sur de petits cadavres une étiquette qui, dans de telles circonstances, tend à les différencier, dans l’esprit de ce fonctionnaire, du reste de l’humanité." La municipalité accusait le commissaire de persécuter Delphine Giovannini, alors hospitalisée, attribuant au policier "un ressentiment certain motivé par l’action qu’elle mène au sein des organisations démocratiques (ne l’avait-il pas arrêtée le 25 novembre et relâchée que sur l’intervention des adjoints au maire de Port-de-Bouc ?)". Le dernier point développé rappelait le contexte anticommuniste plus global de la Guerre froide : "Le lendemain de la catastrophe, des journaux qui ont pour habitude de publier fidèlement les communiqués des commissariats ou de la Préfecture, donnaient de la catastrophe, des interprétations qui pouvaient, soit atténuer la responsabilité de l’usine, soit même faire croire à un attentat communiste." L’assemblée conclut que non seulement le commissaire n’avait pas sa place dans ce cortège, que l’usine Saint-Gobain était entièrement responsable du drame, mais elle dénonçait aussi le fait "que les premières poursuites engagées par le gouvernement le [soient] contre une personne qui [avait] agi au nom des victimes."
Jeannette Vermeersch se rendit au chevet de Delphine Giovannini à la clinique de Martigues avant de se rendre à Port-de-Bouc. Un article de La Marseillaise relate cette rencontre. Très émue par cette visite, la militante alitée commentait : "Je ne pleure pas mes enfants, car je sais qu’avec tous les travailleurs je les vengerai". Puis, montrant ses jambes meurtries, elle ajoutait : "Je souffre plus encore en pensant à tous ces pauvres gosses du quartier de l’usine qui respirent chaque jour les émanations meurtrières. Oui, nous n’avons pas assez agi avant la catastrophe. Démarches et pétitions pour écarter le danger, ce n’était pas assez. Il fallait être encore plus énergiques."
D’après Fernande Giovannini, Saint-Gobain proposa un arrangement amiable que Lionel Giovannini refusa, opposé à toute idée d’entente amiable avec les assassins de leurs enfants. Une collecte fut organisée aux CAP, dont le fruit fut lui aussi refusé par le père, ses filles n’ayant à ses yeux plus besoin d’une collecte puisqu’elles étaient mortes. La catastrophe suscita une polémique dans les médias de l'époque. Le tribunal d'Aix-en-Provence reconnut plus tard la responsabilité de la direction de l'entreprise, qui fut contrainte de raser l'usine.
Le maire voulut épargner à Delphine Giovannini la douleur de revenir habiter la rue Albert Rey. Il fit loger la famille pour un temps au 22 rue Marceau. Elle y resta jusqu’en décembre 1951, avant de gagner le 2 boulevard Voltaire, dans le quartier Tassy. La conseillère municipale suivit deux mois de lourds traitements et passa un an et demi dans un fauteuil roulant. À l’invitation de syndicats ouvriers hongrois, elle fit une cure au bord du Lac Balaton, réputé pour ses propriétés curatives, et retrouva en partie l'usage de ses jambes.
Elle reprit ses activités militantes, notamment contre la guerre d'Indochine. Adhérente à l’UFF à partir d’une date inconnue, elle y fut très active. Elle recruta de nombreuses nouvelles adhérentes. Elle aurait été de plus membre du Mouvement de la Paix. Suite aux élections municipales de 1953, elle fit un deuxième mandat au sein de la municipalité Rieubon. Cette fois encore, elles étaient quatre femmes, les autres étant Paulette Rambaldi, Marcelle Legal et Julie Liénert.
En 1954, Delphine et Lionel Giovannini eurent une nouvelle fille, Danièle.
Entre les années 1950 et 1960, le domicile familial vit passer des personnalités communistes d’envergure nationale, telles que François Billoux, Pierre Gamarra, Jacques Duclos et Charles Tillon.
Plusieurs articles de La Marseillaise montrent la militante entourée d'autres femmes lors d'actions contre la guerre d’Algérie destinées à sensibiliser la population et les autorités locales. Durant l’hiver 1957, par exemple, des épouses et des mères de soldats de Port-de-Bouc et de Martigues furent reçues par le conseiller général communiste, M. Pagès, puis au cabinet du préfet des Bouches-du-Rhône, apportant une liste de résolutions pour la paix signée par quatre-vingt-quatre mères port-de-boucaines et vingt-cinq martégales. Parmi elles : Delphine Giovannini, Paulette Argiolas et Fifi Domenech (femme d’Albert Domenech), mais aussi Rina Meli de Martigues.
L’UFF organisa également à Port-de-Bouc un rallye de ballons pour la paix en Algérie en 1958. Outre Delphine Giovannini, un certain nombre de participantes appartenaient à des familles communistes : Paulette Argiolas et Fifi Domenech encore, ainsi qu’Yvette Domenech (fille de la précédente), Marie Melias, Fifi Santoru et Mme Fancello.
En 1959, Delphine Giovannini effectua un troisième mandat municipal dans l’équipe de René Rieubon. Paulette Rambaldi et elle étaient cette fois les seules femmes élues. Elle milita dans la cellule communiste Fanny Dewerpe, qui se serait réunie dans le garage où Emma Belleguic confectionnait ses matelas, près du bloc 1 du groupe Paul Langevin (à l’emplacement de l’actuelle rue Emma Belleguic). Néanmoins, affaiblie par les conséquences de ses blessures dues à l'acide, elle dut limiter ses activités politiques en 1965.
En 1975, les Giovannini vécurent avec leur plus jeune fille au 10 ou 12 boulevard Voltaire, dans un logement qui disposait d’une chambre de plus que le précédent. Après la mort de son mari, Delphine Giovannini emménagea au 1er étage du 6 boulevard Voltaire, plus facile d’accès pour elle au vu de ses problèmes pour marcher.
Décédée en 1991, Delphine Giovannini est enterrée avec son mari et leurs trois filles au cimetière communal.
La ville de Port-de-Bouc inaugura le 19 mars 2016 la Maison des femmes Delphine Giovannini, consacrée aux femmes victimes de violences conjugales, en présence de Patricia Fernandez-Pédinielli, maire de la commune, Évelyne Santoru, conseillère départementale, et de Fernande et Danièle, les filles de la militante. Une plaque fut dévoilée saluant "son dévouement en faveur des femmes".
Sources : Arch. mun. Port-de-Bouc : Municipalités de Port-de-Bouc. — Archives Famille Giovannini : Séance du 3 mars 1950 (conseil municipal de Port-de-Bouc). — Roland Joly, Antoine ou La passion d'une vie : Une histoire de Port-de-Bouc, ville mosaïque, auto-édition, 2005. — Charles Crétinon, Esteban Morata et Joseph Ros, Port-de-Bouc, Éditions Alan Sutton, 2002. — Jean Scarulli, Une vie bien remplie : Je suis un émigré, auto-édition, 2010 (p. 138). — "Jeannette Vermeersch s’est rendue au chevet de Mme Giovanini victime de la tragédie de Port-de-Bouc", La Marseillaise [date coupée, 1950]. — "Magnifique succès du rallye de ballons pour la paix en Algérie", La Marseillaise, hiver 1958. — « Port-de-Bouc : une maison pour les femmes victimes de violences », Maritima Info, 21 mars 2016. — « La Maison des Femmes Delphine Giovannini », site de la mairie de Port-de-Bouc, mars 2016. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 15 novembre 1931 (63e année, N°267), p. 11839 ; 26 juillet 1933 (65e année, N°173), p. 7817 ; 28 juillet 1933 (65e année, N°175), p. 7970. — Site Filae. — Cimetière de Port-de-Bouc. — Témoignages de Fernande Ruiz et Danièle Giovannini, ses filles (décembre 2023).
1ere version pour Le Maitron : 18 novembre 2021.
2e version : 31 décembre 2023.
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