GIOVANNINI Lionel [GIOVANNINI Leonello, dit Lionel]
Dernière mise à jour : 8 oct.
Né le 21 octobre 1909 à Pontedera (province de Pise) en Toscane (Italie), mort le 27 février 1979 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ; manœuvre et ébéniste ; militant communiste des Bouches-du-Rhône (Salin-de-Giraud, Fos-sur-Mer, Port-de-Bouc) ; syndicaliste CGT ; résistant des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF) des Alpes-Maritimes.
Leonello Giovannini vit le jour à Fornacette, un hameau de Pontedera [les deux lieux sont aujourd’hui des communes distinctes]. Ses parents étaient Ferdinando Giovannini, ouvrier agricole né comme lui à Pontedera, et Maria Carmina Filidei, femme au foyer, née à Calcinaia (Toscane). Il était le dernier né de sa fratrie, qui comprenait aussi Sestilia (l’aînée), Assunta, Nello et Teresina. Son frère Nello disparut à dix-huit ans en combattant lors de la Première guerre mondiale.
Il alla à l’école jusqu’à quatorze ou quinze ans et suivit une formation d’ébéniste, tout en aidant son père et son oncle aux travaux des champs. En août 1928, il se rendit en France avec sa mère pour y rejoindre son père qui travaillait comme saisonnier. Il ne retourna pas en Italie, échappant ainsi à son incorporation dans les « chemises noires » fascistes. Ses parents craignaient de le perdre comme ils avaient déjà perdu leur premier fils. Son père Fernandino mourut de la gangrène suite à un accident de travail.
Leonello Giovannini, dit Lionel, fut embauché le 1er septembre 1928 en tant que manœuvre par la Compagnie Alais, Froger et Camargue, qui appartenait à Péchiney. Il apprit le français, en grande partie avec le dictionnaire, avant de passer à des lectures plus ardues, comme la saga Les Pardaillan de Michel Zévaco. En plus de son travail officiel, il arrivait qu’un contremaître lui demandât occasionnellement de lui fabriquer un meuble.
Vers 1930, il rencontra Delphine Ciamporciero, fille d’immigrés italiens, qu’il épousa à Arles le 22 octobre 1932. Le couple eut, l’année suivante, une fille prénommée Fernande.
De mémoire familiale, il rejoignit le Parti communiste de Salin-de-Giraud vers 1934. Les réunions se seraient d’abord faites en secret dans le mas de Chamone. Il milita notamment avec un certain Pasqualetti. Les Giovannini, tous les deux militants communistes, participèrent aux rassemblements de 1936 à Salin-de-Giraud. On les aperçut le poing levé, avec les ouvriers de Solvay et de Péchiney. Ils emmenaient parfois Fernande enfant aux défilés, son père la portant sur ses épaules. Délégué syndical CGT, Lionel Giovannini participa à la grève du 30 novembre 1938 pour défendre la semaine de 40 heures, acquise en 1936 et remise en question par le gouvernement. Péchiney le mit à la porte parmi une dizaine de représentants syndicaux. Vu que le logement de Giovannini dépendait de son emploi, la famille dut changer d’adresse.
En 1939, ils emménageaient rue Anatole France, dans le quartier de L’Hauture, à Fos-sur-Mer. Lionel avait trouvé un emploi de manœuvre à la Compagnie des Salins du Midi. Il récoltait le sel, dont il chargeait des sacs sur une péniche. Le soir il faisait les camelles, des monticules de sel, qui lui rapportaient le versement d’heures supplémentaires, avant d’aller s’occuper de son jardin. Pour nourrir sa famille, Lionel Giovannini menait d’autres activités : il pêchait à la foëne, à l’épervier, ramenant parfois des anguilles, et allait aussi chasser. Le couple eut une deuxième fille, Josette. Mi-novembre 1939, le chef de famille remplit une demande d’engagement pour la durée de la guerre et d’acquisition de la nationalité française auprès du bureau de recrutement de Marseille. Quelques jours plus tard, le tribunal correctionnel de Tarascon le condamna à 100 F d’amende de dommages et intérêts pour chasse interdite. On lui confisqua le fusil qui lui permettait de ramener du gibier.
Le sort parut s’acharner sur Lionel Giovannini, car le 2 février 1940, le préfet des Bouches-du-Rhône signa un arrêté d’expulsion à son encontre, motivé par son statut d’étranger et de communiste. Une notice individuelle, rédigée le 20 décembre 1939 à Salin, le décrivait comme mesurant 1,69 m, les cheveux bruns, les yeux marron, le visage ovale et le teint mat. Il était de plus fiché dans les dossiers du Casellario Politico Centrale de la sûreté publique italienne pour la période 1938-1943. On y mentionnait sa domiciliation en France, ses idées communistes et on lui attribuait le métier de charpentier. Le 20 février 1940, la brigade de gendarmerie de Port-de-Bouc se rendit à son domicile pour l’informer de son expulsion. Il mit en avant le fait que sa femme et leurs enfants étaient nés français, mais il avait quinze jours pour quitter le territoire. On lui retira son récépissé de demande de carte d’identité d’étranger. Le 14 mars, le Préfet daigna lui accorder une "autorisation de séjour de trois mois à titre d’essai". Son patron aux Salins du Midi, M. Casamata, lui attribua un logement de fonction sur son lieu de travail, pour lui éviter d’avoir à passer par les contrôles policiers sans papiers. Le niveau de confort y était rudimentaire : sans eau ni électricité, avec un sol en terre battue. Le curé de Fos-sur-Mer, M. de Blasy, lui apporta de l’aide en lui fournissant de faux papiers sur lesquels il avait ses vrais noms et prénoms, tout en étant français, né à Bonifacio, en Corse.
Lionel Giovannini reçut à plusieurs reprises à Fos-sur-Mer la visite de Lionello Diomelli, responsable de la MOI (Main-d’œuvre immigrée) du Var, dans laquelle les Italiens étaient majoritaires. La famille cacha quelques temps deux jeunes Italiens, Lorenzo et Antonio, qui avaient échappé aux Allemands. À une date indéterminée, Giovannini rejoignit les Francs-Tireurs et partisans français (FTPF). Après le franchissement de la ligne de démarcation par la Wehrmacht, Charles Scarpelli, responsable communiste de Port-de-Bouc, avertit les Giovannini de l’arrivée de la Gestapo chez eux. Lionel alla se cacher au Cavaou, dans une manade de chevaux, avec la complicité du propriétaire, M. Raoux, qu’il ne connaissait qu’à peine. Un jour qu’il se rendait à Port-Saint-Louis-du-Rhône à bicyclette, les sacoches remplies de tracts, il aurait été verbalisé par les gendarmes. Comme il n’avait pas l’appoint pour payer son amende, un des gendarmes aurait insisté pour le faire venir au commissariat pour qu’on lui rendît la monnaie. Lui était réticent, craignant par dessus tout qu’on fouillât son vélo. Est-ce que le second gendarme avait compris la situation lorsqu’il proposa à son collègue de payer lui-même la différence ? On peut le supposer. Ce geste évita au militant d’être arrêté.
En 1943, la famille Giovannini eut une troisième enfant, Solange.
Selon sa fille aînée, Lionel combattit pendant un an dans les Alpes-Maritimes, à Menton, à Saint-Étienne-de-Tinée, fit partie d’un bataillon de chasseurs alpins et participa à la libération d’un village du Piémont. Le général De Gaulle aurait cependant attribué cette libération aux FFI, en faisant parader ces derniers en avant du défilé, éludant le rôle déterminant joué par les FTPF. Et celui à qui on avait promis la nationalité française à la fin de la guerre ne fut finalement pas naturalisé. Une anecdote datant d’après la Libération donne la mesure de son attachement au combat mené par la résistance communiste : sur un portrait de lui posant en uniforme FFI, il gratta la croix de Lorraine gaulliste pour la remplacer par la faucille et le marteau communistes.
En 1945, Lional Giovannini fut embauché comme ébéniste aux Chantiers et Ateliers de Provence (CAP) de Port-de-Bouc. Travaillant dans un atelier aux Agglos du chantier naval, il fit des allers-retours quotidiens depuis Fos jusqu’à ce que la famille s’installe à Port-de-Bouc en 1946. Le foyer s’agrandit d’une quatrième enfant, Marie-Thérèse. Engagé à la CGT, Giovannini fut délégué syndical aux CAP. Dans son entreprise, il milita dans la cellule communiste Jean-Pierre Timbaud.
M. de Blasy, qui lui avait procuré de faux-papiers, devint plus tard curé à Port-de-Bouc. Les deux hommes avaient sympathisé et le prêtre rendait souvent visite à Lionel à son domicile de la rue Albert Rey. Ces rencontres suscitaient la curiosité du voisinage, qui se demandait ce que pouvaient bien échanger un homme d’église et un communiste.
En 1949, Lionel Giovannini participa au mouvement contre le lock-out des CAP. Après plusieurs années de gestion ouvrière de l’entreprise, l’ancienne direction revenue aux commandes, voulait faire passer en force la suppression d’une prime au lancement des bateaux, qui correspondait à une perte d’environ 20 % de revenus pour les ouvriers. Delphine Giovannini participa elle aussi aux 110 jours de lutte, qui se terminèrent par la victoire de la direction et le licenciement de responsables du syndicat.
Le 7 février 1950, le quartier de la Lèque, dans lequel vivait les Giovannini, fut le théâtre d’une catastrophe industrielle meurtrière. Un réservoir d’acide percé, appartenant à l’usine Saint-Gobain, se déversa dans la rue Albert Rey, emportant les trois plus jeunes filles du couple, Marie-Thérèse (trois ans), Solange (six ans), Josette (dix ans), ainsi qu’une vieille dame, Madame Baretta. Les enfants moururent le lendemain. Survenant en pleine Guerre froide, le drame donna lieu à une violente polémique, opposant le PCF, le journal La Marseillaise et le conseil municipal port-de-boucain à différents représentants de l’État et de la presse conservatrice. La municipalité menée par René Rieubon mentionnait dans le compte-rendu de sa séance exceptionnelle du 3 mars 1950 : « Le lendemain de la catastrophe, des journaux qui ont pour habitude de publier fidèlement les communiqués des commissariats ou de la Préfecture, donnaient de la catastrophe, des interprétations qui pouvaient, soit atténuer la responsabilité de l’usine, soit même faire croire à un attentat communiste. »
Le 9 février, le rassemblement d’hommage aux victimes de la rue Albert Rey attira environ 15.000 personnes venant de toute la région. Jean Scarulli, responsable de l’UJRF (Jeunesses communistes) de Port-de-Bouc à l’époque, évoque dans ses souvenirs les heurts qui se déroulèrent durant l’événement. D’abord, la présence dans le défilé de Gaston Defferre, maire de Marseille connu pour ses positions anticommunistes, mit le feu aux poudres : « Un groupe se précipita sur l’édile, son intention n’était pas de caractère amical. Une courte bousculade s’ensuivit. René Rieubon s’interposa, protégeant le maire de Marseille de son corps et il lança un appel au calme. » La présence du commissaire Emmanuelli attisa par ailleurs la colère des communistes. Selon la municipalité de Port-de-Bouc, ce dernier avait fait après le drame un récit à la préfecture, commentant que seules des familles de communistes avaient été touchées. Paul Argiolas, membre du conseil municipal et rédacteur en chef de La Marseillaise, sera plus tard accusé par le Directeur départemental de la Police d’avoir fait sortir le commissaire du cortège, exigeant de lui une lettre d’excuses au concerné. L’assemblée municipale allait se montrer solidaire de son conseiller et renvoyer l’usine et le commissaire à leurs responsabilités. M. Emmanuelli manqua vraisemblablement de se faire lyncher : Jean Scarulli et le groupe de militants qu’il avait rassemblés pour retrouver l’officier de police ne l’avaient pas trouvé dans son bureau du commissariat... La Marseillaise mena quant à elle une campagne de presse virulente autour de l’accident.
Saint-Gobain aurait proposé un arrangement amiable que Lionel Giovannini refusa, ne souhaitant pas avoir de relation « amiable » avec les responsables de la mort de ses filles. Une collecte fut organisée aux CAP, devant être remise à la famille par le sous-directeur M. Sutra. Là encore le père refusa, ses enfants n’ayant à ses yeux plus besoin de collecte. Le tribunal d’Aix reconnut la responsabilité de la direction de l’entreprise, qui fut contrainte de raser l’usine.
En 1954, le couple Giovannini eut une autre fille, Danièle.
Lionel Giovannini prit part à la résistance ouvrière qui s’opposa aux vagues de licenciements aux CAP à partir de 1964, qui aboutirent à la fermeture du chantier naval en 1966. Il refusa d’être embauché au chantier naval de La Ciotat et prit sa retraite à soixante-sept ans.
Il fut emporté en 1979 par un cancer du poumon, vraisemblablement causé par l’inhalation des résines cancérogènes utilisées pour coller les meubles Formica, qui furent populaires à partir des années 1950. Nombre de ses collègues menuisiers furent frappés de pathologies similaires.
Le jour de son enterrement, Pascaline Carbonnel protesta contre l'absence du drapeau de la section communiste de Port-de-Bouc dans le cortège funèbre. Elle aurait demandé avec succès qu’on allât le chercher. Lionel Giovannini est enterré au cimetière de Port-de-Bouc avec sa femme et leurs trois filles disparues prématurément.
Sources : Arch. Nat., 19940448/218 (fichier central de la Sûreté nationale, 1939-1940). — Archives familiales ; Compte rendu de séance du conseil municipal de Port-de-Bouc du 3 mars 1950 ; "Biographie" rédigée par Delphine Giovannini sur son parcours à l’attention de Mireille Dumont pour la Fédération communiste des Bouches-du-Rhône (sans date). — Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, busta 2439, estremi cronologici 1938-1943 (nc). — Roland Joly, Antoine ou La passion d’une vie : Une histoire de Port-de-Bouc, ville mosaïque, auto-édition, 2005. — Jean Scarulli, Une vie bien remplie : Je suis un émigré, auto-édition, 2010 (pp. 82-83). — Cimetière de Port-de-Bouc. — Entretiens avec Fernande Ruiz, sa fille (décembre 2023-janvier 2024, août et octobre 2024).
1ere version pour Le Maitron 19 novembre 2021.
2e version : 16 janvier 2024.
3e version : 8 octobre 2024.
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