PELLISSIER Simone [née ROUX Mélanie, Simone, Jeanne, épouse PELLISSIER]. Pseudonymes dans la clandestinité : GIRAU Joëlle ; LORRAINE Liliane ; SARLIN Éliane ; SYLVY Odette.
Née le 23 janvier 1915 à Digne-les-Bains (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence), morte le 18 octobre 2003 à Volx (Alpes-de-Haute-Provence) ; coiffeuse ; diffuseuse des journaux Vérités et Témoignage chrétien ; chef du ROP (Recrutement organisation propagande) du Mouvement de Libération nationale (MLN) des Basses-Alpes, puis résistante de Combat ; agente de liaison des Mouvements unis de la Résistance (MUR) et de l’Armée secrète (AS) des Hautes-Alpes ; membre du Comité local de Libération de Digne ; présidente des Femmes de la Libération nationale (FLN) de Digne après la Libération ; conseillère municipale SFIO de Digne de 1945 à 1947 ; internée ; évadée.
Mélanie Roux vit le jour rue de l’Hubac à Digne, de Véran Prosper Roux, dignois de naissance, qui était marchand de vins, et de Joséphine Jeanne Bonnefoy, née à Mane, qui éleva six enfants : Prosper, né en 1902 ; Marceau, né en 1906 ; Germaine, née en 1908 ; Mélanie, la quatrième ; Marthe, née en 1917 ; et Louis, né en 1919. En 1931, la famille Roux était domiciliée 9 rue Prête à Partir. Mélanie, qu’on appelait Simone, quitta l’école assez tôt et travaillait à seize ans comme coiffeuse, comme sa sœur aînée Germaine. Elle se maria à Digne le 26 mars 1940 avec Albert Pellissier, cultivateur. Elle tenait un salon de coiffure pour dames situé au 22 boulevard Gassendi.
Mobilisé pour combattre l’Allemagne, Albert Pellissier fut capturé par l’armée ennemie. Il restera prisonnier jusqu’à la fin de la guerre. Sans être une militante politique, Simone Pellissier rejeta avec force l’armistice de juin 1940. Elle adressa en septembre un courrier de protestation au maréchal Pétain. La lettre, censurée par la Poste, fut transmise à la Préfecture, qui convoqua l’intéressée pour lui adresser une mise en garde menaçante. D’après le dossier d’homologation de grade FFI qu’elle remplira en 1946, elle commença à résister individuellement à la fin de l’année 1940, en confectionnant et collant des affiches dans la commune. En octobre 1941, elle rejoignit la résistance organisée en diffusant le journal Vérités, organe du Mouvement de libération nationale (MLN) dans la zone sud. Elle y entra grâce à une de ses clientes, Mme Baudoin. Celle-ci recevait le journal et était mariée à un officier qui avait rejoint les Forces françaises libres à Londres. Les deux femmes diffusèrent la publication sous le manteau, épaulées par Suzanne Bidault dite "Élisabeth", sœur de Georges Bidault (futur président du Gouvernement provisoire de la République française).
Simone Pellissier fut très rapidement nommée chef du ROP (Recrutement organisation propagande) dans les Basses-Alpes par Henri Aubry dit "Avricourt", responsable de la région R2 (Marseille) du MLN. "Première propagandiste", dépositaire et responsable de la presse clandestine du département, son rôle consistait à recevoir et héberger des agents de liaison qu’elle ne connaissait pas. Ils lui apportaient journaux, tracts et papillons ainsi que des consignes à transmettre. Elle devait mener des affichages sur le secteur de Digne et de ses environs avec douze jeunes propagandistes sous ses ordres. Cinquante ans plus tard, elle publiera ses souvenirs dans un livre intitulé Femmes en Résistance (voir sources). En 1941, elle rencontra des réfugiés luxembourgeois à la pension de famille tenue par sa sœur Germaine. Elle recueillit l’un d’eux chez elle, Robert Lemmer, blessé à cause de ses chaussures en mauvais état, et lui trouva un médecin. Son mouvement de résistance se réorganisant bientôt, en décembre 1941 elle donna son adhésion à Combat, qui succédait au MLN suite à la fusion des journaux Vérités et Liberté. À partir de ce moment, elle diffusa les revues Combat et Cahiers du Témoignage chrétien.
Pour Combat, Simone Pellissier assura l’organisation et la réalisation des manifestations du 1er mai 1942. La veille au soir, elle rassemblait chez elle, 2 avenue des Monges, une douzaine de personnes pour une réunion préparatoire : Mme Baudoin, Véran Roux (le père de Simone), Marthe et Jean Teyssier (la sœur de Simone et son mari), trois réfugiés luxembourgeois et trois étudiants. Les participants se répartirent les rues où ils allaient distribuer les tracts de Combat appelant les "ouvriers français" à manifester. Le jour J, un bouquet de fleurs patriotique fut déposé au pied de la fontaine de la République et des tracts furent distribués sur le boulevard Gassendi. Bien que la consigne fût de ne pas assister en personne à la manifestation, les jeunes éléments désobéirent et furent arrêtés. La police les fit parler et appréhenda Simone Pellissier. Tandis qu’elle niait les faits, l’inspecteur la menaça de faire arrêter M. Besson (voir Norbert Besson), communiste notoire de Digne, qui n’avait aucun lien avec l’action gaulliste. Ce chantage la motiva à avouer son rôle de dépositaire responsable et distributrice des journaux, des tracts et papillons en circulation depuis 1941, mais elle refusa d’indiquer la filière. On l’incarcéra le 2 mai à la prison Saint-Charles (maison d’arrêt de Digne) avec les prisonnières de droit commun. La promiscuité avec les clochardes et les prostituées, les soupes d’épluchures de pommes de terre, la saleté et les poux furent pour elle une expérience difficile. Elle fut mise au secret. La complicité d’un médecin, le Dr Romieu, qui demanda son envoi à l’hôpital de Digne, lui apporta une bouffée d’oxygène. Le 22 juillet 1942, la résistante fut transférée à la prison Saint-Joseph à Lyon. Elle en gardera le souvenir des douches collectives, du parloir grillagé et des visites réalisées en commun, – ici encore – des soupes d’épluchures et de la crasse, du vacarme et des rats. Une probable erreur médicale la fit envoyer cinq jours à l’hôpital de la Croix-Rousse, au pavillon des contagieux, pour passer des examens : l’occasion pour elle de dormir tout son saoul dans "un vrai lit", quoique "défigurée… par les piqûres de moustiques" à son réveil.
Du 19 au 23 octobre 1942, Simone Pellissier était jugée avec une cinquantaine de membres du mouvement Combat de la zone sud, dont la responsable Berty Albrecht. La Gestapo assistait à l’événement. Les avocats de la défense avaient réussi à éviter à leurs clients un passage devant la Cour de sûreté de l’État, qui était prévu au départ et augurait un dénouement plus tragique. Un des frères de Simone, qu’elle nomme "Pelly" se tenait dans le public. S’agirait-il de Prosper, le frère aîné, résistant lui aussi ? Une fois de plus, elle assuma ses idées et ses actes, tout en manifestant son mépris aux juges. Elle fut condamnée à six mois de prison et 6000 F d’amende. Durant la période de détention qui suivit à la prison Saint-Joseph, elle fit des rencontres marquantes : celle de Mlle Renouard, professeur au lycée de Grenoble, qui lisait des poèmes à ses codétenues pendant que Simone lui peignait ses longs cheveux (elle mourra en déportation) et Lina Cassier, de Villefranche-sur-Saône (avec qui elle restera en relation après la guerre). Le 2 novembre, Berty Albrecht apprenait aux résistantes que la Wehrmacht allait envahir la zone sud et émettait l’hypothèse qu’elles allaient être fusillées. La libération de Simone Pellissier devait avoir lieu le 3 novembre. "Mme Albrecht", comme elle la nomme, lui proposa d’aller loger chez elle, le temps d’être libérée à son tour, afin qu’elles travaillent ensemble par la suite. Elle lui communiqua une adresse à Lyon, l’Hôtel Dubost, tenu par des sympathisants, et lui donna des renseignements à transmettre à Henri Frenay, qui dirigeait Combat. Pellissier griffonna des mots sur un bout de papier qu’elle cacha dans l’épaulette de son manteau. Néanmoins, un coup de théâtre survint alors qu’elle avait passé la fouille précédant sa sortie : au lieu de la libérer, on la conduisit au dépôt Saint-Jean de Lyon ! Elle y resta deux semaines. À la demande du préfet du Rhône, elle fut internée le 16 novembre au camp de Brens, dans le Tarn.
Les premiers mois passés au camp lui furent pénibles. Elle raconte avoir vécu essentiellement avec des prostituées. Plus tard, on l’affecta à la baraque des "politiques", ce qui adoucit ses conditions d’enfermement. Elle y recevait de nombreux courriers qui l’aidaient à tenir moralement : de sa famille ; « un courrier de Mme Albrecht, daté du 21 avril, me proposant à mots couverts de me faire évader » et renouvelant sa proposition de travailler avec elle ; des hommes qui avaient été ses coïnculpés à Lyon et étaient internés à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), dont un certain Lavigne. C’est celui-ci qui lui apprit la mort de Berty Albrecht. Elle sympathisa notamment avec Mme Fagès de Saint-Étienne et Mlle Péron – toutes deux jugées au procès de Lyon – avec la dirigeante communiste Fernande Valignat, Colette Lucas, membre du réseau du musée de l’Homme (qui sera la mère de la chanteuse Véronique Sanson), la Franco-congolaise Jane Vialle (qui deviendra plus tard sénatrice), l’Anglaise Muriel Armstrong, les communistes Germaine Quatremaire (femme d’Henri Quatremaire) et Camille Planque (voir Camélia Planque). Le 1er mai 1943, elle participa à une manifestation muette organisée dans le camp par les internées résistantes et politiques. Selon ses propres mots, l’action « réussit parfaitement et produisit un certain effet sur nos gardiens. » Cependant deux jours après, les gardiennes découvrirent en fouillant une communiste libérée une lettre relatant l’opération qu’elle avait cachée dans l’épaulette de son manteau. La police de Toulouse fut prévenue : elle procéda à des fouilles de cases des détenues, à des interrogatoires violents et à l’arrestation de Simone Pellissier et six de ses camarades.
Envoyée à la maison d’arrêt d’Albi le 7 mai, elle fut jugée pour « menées anti-nationales d’inspiration communiste » et bénéficia d’un non-lieu. Elle fut libérée le 2 juin et réintégra le camp de Brens. Déterminée à s’évader, elle dépeint dans son livre un tableau pessimiste des possibilités qu’offrait le lieu : « Côté route, il y avait une palissade en bois assez haute. Des guérites gardées tous les cinquante mètres environ. Cela paraît impossible... » Mais un gardien, Paul Puig, la reconnut comme une des détenues arrêtées suite à la manifestation du 1er mai. Il lui donna des nouvelles de Radio Londres et lui avoua qu’il était communiste et devenu gardien du camp pour pouvoir aider occasionnellement des détenues politiques. Après avoir négocié avec lui la possibilité de s’évader avec une camarade, elle proposa à Mme Fagès, qui refusa, puis à Colette Lucas, qui accepta. Le gardien prit contact avec une des sœurs Roux à Digne pour faire réaliser des faux papiers. Cette dernière, craignant que le projet ne tournât mal, vint tenter de dissuader Simone. Paul Puig et sa femme hébergèrent la sœur chez eux pour éviter qu’elle ne fût repérée dans un hôtel. Ils dormirent par terre et lui laissèrent leur lit. Elle fournit à Simone le nom d’un contact à Arles, M. Durand, cafetier, chez qui elle pourrait trouver refuge.
Dans la nuit du 21 au 22 août 1943, Simone Pellissier et Colette Lucas franchirent les barbelés du camp de Brens avec l’aide de Puig et d’une camarade belge qui resta à l’intérieur. Les versions des deux femmes diffèrent sur certains points. Dans celle de Colette Lucas, il n’y a pas de gardien faisant des coupures dans la clôture ni les tirant vers l’extérieur pour les aider à sortir. D’après elle, elles avaient soudoyé un milicien qu’elles ne croisèrent pas lors de leur évasion. De plus, elles avaient avec elles une pince qui leur permit de pratiquer une ouverture. Il est possible qu’au moins une partie des écarts entre les deux témoignages vienne des rôles différents qu’elles jouèrent dans l’action. Simone Pellissier dit avoir échangé plusieurs jours durant avec Puig. Elle aura préparé avec lui les étapes de leur sortie du camp. Par conséquent elle aurait eu plus d’informations sur lui que sa camarade. Colette Lucas parle en ces termes de sa complice : « C’était une fille d’un courage inouï, je l’avais repérée au regard. Elle avait un regard bleu électrique et me paraissait volontaire, parce qu’il faut quand même un peu de courage pour s’évader : les gardiens ont des mitraillettes… ». Il semblerait aussi qu’elles aient dû payer pour Colette Lucas (selon cette dernière). En revanche, dans son récit Simone Pellissier annonçait à Puig qu’elle n’avait pas d’argent pour monnayer sa liberté et reçut son aide gracieusement. Pour relativiser un peu l’importance de ces divergences, il conviendrait de rappeler la tâche ardue que peut représenter le détail d’événements plus d’un demi-siècle après leur déroulement.
Aux dires de Colette Lucas, l’argent dont elles disposaient venait de la sœur de Simone : « On avait un peu d’argent parce que sa sœur était venue la voir et lui avait glissé quelques billets qui correspondraient peut-être maintenant à 500 francs. » Si c’était Simone qui s’occupait des questions d’argent, on devrait pouvoir tenir pour fiable sa version concernant la gratuité de l’aide apportée par Paul Puig. Ensuite les deux versions se complètent. L’une et l’autre évoquent la pluie qui incita le garde voisin à rester dans sa guérite au lieu de faire sa ronde habituelle. Colette Lucas mentionne qu’elles se laissèrent glisser sur un ravin de plus de trente mètres donnant sur le Tarn. L'une et l'autre déclarent avoir marché dans la boue jusqu’aux genoux, parcouru la trentaine de kilomètres qui séparait Gaillac d’Albi et perdu leurs chaussures en chemin. Elles prirent le train pour Toulouse, dans lequel Pellissier se remémore une rencontre avec le sous-chef du camp, M. Maréchal. L’homme semble assez indifférent à leur évasion : il les avise qu’elles auraient bientôt été déportées en Allemagne si elles n’avaient pas pris la fuite, et ajoute que, l’alarme ayant été donnée au camp, leur train allait être fouillé à Gaillac. Le convoi fut en effet arrêté pas loin d’une demie-heure. Cachées dans les toilettes, elles ne furent pas trouvées par la police. À Toulouse, des passagers leur offrirent de la nourriture. L’allure fatiguée et négligée des évadées ne les fit pas arrêter pour autant. Une fois à Arles, le cafetier M. Durand (Colette Lucas précise qu’il était communiste) les hébergea et leur aurait permis de manger et dormir pendant plus d’un mois. Simone retrouva à Manosque sa sœur Germaine et M. Decory, résistant, qui la reconnut. Decory mit les évadées en contact avec Max Juvénal dit "Maxence". Colette Lucas rejoignit les MUR et se rendit à Lyon.
En septembre 1943, Max Juvénal nomma Pellissier agent de liaison pour les MUR et l’AS des Hautes-Alpes. Elle avait pour pseudonyme "Liliane". Elle opéra notamment sous les ordres de Jean Vial (AS) et de Merle (qu’elle nomme dans son récit "Maître Merle"), délégué régional à la propagande du MLN. Elle transporta des plis, des ordres verbaux entre Gap, Briançon, Manosque, Sisteron et Embrun, mais aussi des armes et des explosifs pour Paul Héraud dit "Commandant Dumont", artisan chaisier. Dans l’atelier d’Héraud, elle vit des planches sur lesquelles il dessinait des plans d’attaque. Elle demanda à rejoindre son équipe de saboteurs. Il refusa au motif qu’ils opéraient en nombre limité. Simone Pellissier était présente à une réunion importante qu’elle ne date pas et qui se tint à l’Hôtel du Rio-Vert à la Saulce, aux côtés de nombreux responsables départementaux et régionaux des MUR et de l’AS. Il semble qu’elle était souvent très nerveuse lors de ses missions, craignant constamment d’être démasquée. Lors de la première qu’elle réalisa à Embrun, elle devait rencontrer un enseignant, Paul Ravel, dans un bar-restaurant. Il la reconnut comme la sœur de Prosper Roux de Digne. Elle se crut à tort prise par la Gestapo : c’était simplement un Dignois qui avait reconnu un air de famille...
Parmi les missions notables dont elle s’acquitta pour le commandant Dumont, on peut citer la livraison de deux valises d’explosifs pour la destruction de l’usine de l’Argentière en décembre 1943. Paul Héraud les transporta sur son dos camouflées derrières des chaises et les lui remit en gare de Gap. Pellissier, elle, portait des skis pour justifier son déplacement. Elle raconte qu’elle devait les remettre à un camarade en gare de Presle. [Cette commune se trouvant en Savoie, à plus de 200 kilomètres de Gap, il pourrait s’agir plutôt de Prelles, située dans les Hautes-Alpes, à 85 km du point de départ de la résistante.] Entre-temps elle dut s’arrêter à Mont-Dauphin pour transmettre du courrier chez M. Galetti. Elle manqua de s’y faire arrêter à la gare par l’armée allemande. Le mois suivant, elle fit parvenir au commandant Dumond des renseignements en vue de la destruction d’un pylône à Saint-Auban. À la même époque, elle reçut des nouvelles de Robert Lemmer, le Luxembourgeois qu’elle avait secouru. Il avait été pris par les Allemands, condamné à quinze ans de travaux forcés, puis finalement été enrôlé de force dans l’armée allemande. En prenant le train des Pignes, elle fut sauvée par ses frères Louis et Prosper. Elle avait fait une liaison à Nice pour "Maître Merle", son chef départemental AS-MUR, et se rendait à Gap en passant par Digne. Mais à Mézel (une quinzaine de kilomètres avant Digne) son frère Loulou (Louis) lui fit signe à la gare. Prosper avait appris par Mme Sube, employée de la gare du Sud (Nice) que des forces de la Gestapo étaient déployées dans la gare de Digne et ses alentours, apparemment dans l’attente de quelqu’un. Elle descendit à Gaubert, moins de dix kilomètres avant l’arrivée, pour éviter d’être arrêtée. Finissant le trajet à pied, la sœur et son frère croisèrent plusieurs voitures de la Gestapo et jouèrent aux amoureux pour faire diversion.
Le 6 janvier 1944, elle déposa du courrier chez Derbez à Manosque et, faute de correspondance ferroviaire pour rentrer à Gap, dormit à l’hôtel de Versailles qui était situé sur sa route. Des agents de la Gestapo y logeaient aussi. Ils pénétrèrent dans sa chambre, fouillèrent dans ses affaires et découvrirent les photos d’identité de Ceissier (ou Cessier), un de leurs collègues, qu’elle diffusait avec ses courriers. Le lendemain elle subit un interrogatoire mené par deux Allemands, dont le chef nommé "Vallera", et deux Français : Guy Fontès, professeur de culture physique à Marseille, qu’elle savait recherché par la Résistance, et un certain Grand Lulu. Mise en état d’arrestation, elle feignit la naïveté et affirma être venue à Gap pour raison de santé. Elle raconta avoir rencontré un inconnu qui avait joué sur son sentiment patriotique en lui demandant de remettre les photos à un autre homme qui devait l’attendre à la gare. Le second ne serait pas venu au rendez-vous. On lui proposa de travailler pour la Gestapo en échange d’un bon revenu. Elle refusa. Attendu qu’elle se dira blessée à cette date, on peut supposer qu’elle aurait été torturée. Ils l’emmenèrent dîner au restaurant avec eux sous la menace d’une mitraillette. Simone Pellissier aperçut des hommes qui les espionnaient partout sur leur parcours. Elle supposa qu’ils étaient des résistants – avec justesse – et que la Gestapo se servait d’elle comme d’un bouclier.
Le 8 janvier, la Gestapo lui annonça qu’elle était libre. Elle comprit qu’elle allait être filée. En se dirigeant vers la gare, elle identifia une dizaine de gestapistes, jusque dans la cabine du train qui menait à Sisteron. Elle décida de descendre à Veynes, où elle avait eu des contacts avec M. Rosanvallon (probablement Georges Rosanvallon), et glissa cette information dans la conversation avec ses voisins. L’hôtel le plus proche de la gare était l’hôtel Polge, supposé être tenu par des sympathisants de la Résistance. Elle y fut suivie par deux agents qui mangèrent à sa table et insistèrent pour payer son repas. À voix haute, elle réserva une chambre pour quinze jours et informa qu’elle allait se reposer. Elle reconnut Ceissier, l’homme de la photo, qui retira ses lunettes de soleil pour la regarder avec insistance. Le second était « Vallet, un traître connu ». La patronne de l’hôtel, Mme Polge, l’accompagna à sa chambre au deuxième étage et fila prévenir Rosanvallon. Simone l’avertit que de d’autres agents arriveraient en nombre par le prochain train. Sur le trottoir d’en face se trouvait l’hôtel de la Gare, occupé par les Allemands. Elle éteignit pour faire croire qu’elle allait dormir et fut surprise par l’arrivée de la patronne avec un résistant envoyé par Rosanvallon. L’homme donna ses vêtements à Simone, et c’est déguisée en homme qu’elle descendit retrouver le complice de son sauveteur. Elle se rendit avec lui à une adresse inconnue, où on la fit se mettre au lit et restituer les habits qu’on lui avait prêtés. Le résistant regagna l’hôtel pour libérer son compagnon et rapporta ses vêtements à la fugitive. Ceissier et Vallet ne découvriront que plus tard son évasion.
Refusant de rester en ville, Simone Pellissier quitta Veynes dans une camionnette envoyée par Rosanvallon. À partir de là, elle changea régulièrement de cachette, dès qu’elle se savait repérée ou se sentait en danger. Elle resta un temps chez Roux à Aspres-sur-Buëch, puis deux jours dans une ferme des environs. Le résistant qui devait la prendre en voiture ayant été arrêté, elle dut repartir. Avec la complicité des propriétaires, elle se cacha à l’hôtel d’Aspres. Quelques jours après, nouveau départ : la gendarmerie avait fait savoir qu’elle recherchait une femme. « Dissimulée sous des sacs au fond d’une camionnette, j’atterris chez un vieux monsieur », M. Tourniaire, à la Bâtie-Montsaléon. Au bout d’une dizaine de jours, on l’alerta que sa présence avait été dénoncée à la Gestapo. Les postiers de Serres, complices de la Résistance, attendirent qu’elle soit partie pour apporter le courrier aux autorités allemandes. Un contrôleur des contributions directes de Serres, M. Peuzin, et Tourniaire la transportèrent à Laragne chez un cousin hôtelier, Pellissier. Elle fut hébergée plusieurs jours avant d’être conduite à Digne. Depuis la campagne voisine où elle était cachée, elle put revoir sa famille et des amis, mais, pistée par la police française et par la Gestapo, sa présence mettait en danger ses proches. C’est avec difficulté qu’elle se résolut à suspendre son activité, vraisemblablement à partir du 15 janvier 1944, une pause qui dura jusqu’à la Libération.
Afin de pouvoir se déplacer, elle avait emprunté la carte d’identité de sa cousine Odette Silvy. Cette période, elle la vécut la peur au ventre, planquée chez son oncle Bouhours dans une campagne près des Bains thermaux de Digne, avec le fils de celui-ci, réfractaire au STO, et son frère Prosper Roux, également recherché par la Gestapo : « nous dormions tous les trois par terre, sur une couverture, dans une petite grotte située au bout de la propriété. » Ce n’est qu’après coup qu’elle apprit que Suzanne Bidault lui avait fait passer un message par une de ses sœurs pour lui proposer d’aller poursuivre la lutte à Paris. Néanmoins sa sœur inquiète ne le lui avait pas transmis. À l’annonce du débarquement du 6 juin, Prosper Roux et leur cousin rejoignirent le maquis. Simone resta seule dans leur planque. Le 16, Digne fut bombardé. Elle était réfugiée chez sa sœur Marthe et son beau-frère Jean Teyssier. Elle se précipita dans le cimetière pour être en sécurité. Le 19, quand Digne fut libérée, elle était aux Ferréols. Bien que ce fût l’armée américaine qui libéra la ville, les premiers soldats qu’elle vit portaient l’uniforme britannique. Le lendemain, pendant le défilé de la Libération, MM. Savary (sans doute Raymond Savary) et Laurin, qu’elle ne connaissait pas, l’informèrent qu’elle avait été « désignée comme membre du conseil municipal » (compte tenu de la date, il serait plutôt question du Comité local de Libération). Un groupe de maquisards tira une salve d’honneur pour rendre hommage aux morts. Cela provoqua un mouvement de panique dans la foule, croyant que les Allemands étaient revenus.
Simone Pellissier découvrit qu’un couple de Français travaillant pour la Gestapo avait investi son appartement avenue des Monges et déplacé son carillon au siège local de la Gestapo. Elle fut membre du Comité local de Libération, constitué le 21 août et présidé par Joseph Fontaine. Elle en était la seule femme avec Fernande Galizot, elle aussi issue de la Résistance. Elle fit partie de la commission tourisme, fêtes et sports, puis à partir du 16 octobre 1944, également de la commission de l’hygiène en remplacement de sa consœur démissionnaire. Le 1er décembre 1944, la Commission militaire départementale de Digne lui attribua le grade de sous-lieutenant.
Simone Pellissier mentionne dans ses souvenirs des réunions du Comité départemental de Libération auxquelles elle se rendit dans les environs de Digne. Il semble qu’elle y ait assisté sans siéger au comité. Au nombre des présents, elle cite Ernest Borrely, Paul Jouve et sa femme, Raymond Savary et son épouse, M. Morin. Elle participa au mouvement des Femmes de la Libération Nationale, dont elle présida la section locale. Ses camarades et elle rendaient visite aux résistants malades ou blessés dans les hôpitaux.
La sensibilité sociale de Simone Pellissier l’incita à s’engager au parti socialiste (SFIO). Elle fut déléguée locale à la jeunesse avec quelques autres. Elle déclina une proposition de s’engager dans l’armée avec le grade d’aspirant qu’on lui avait donné, estimant que sa présence aurait été « inutile, voire même insolite, dans les effectifs importants d’une armée régulière. » Candidate aux élections municipales d’avril-mai 1945 sur une « Liste de la Résistance, d’Union française et de Progrès local » qui comptait trois autres femmes, elle fut élue avec Odette Comte, « pharmacien », issue de la même liste, dans la municipalité menée par Joseph Fontaine. Ces femmes étaient donc les premières élues féminines de la commune. Simone Pellissier participa aux travaux de deux commissions : tourisme, fêtes et sports, sinistrés. La capitulation allemande provoqua la libération de son mari Albert, qui la retrouva après cinq années de captivité.
Elle fut réélue lors des municipales de 1946 dans la municipalité de Paul Jouve, chirurgien socialiste. Elle siégea jusqu’en 1947, avant de se retirer de la vie politique et sociale en raison d’une situation familiale qu’elle qualifiera de « profondément perturbée ». Ses convictions ne furent pas entamées pour autant. Un résistant lui avait proposé d’adhérer au RPF, créé par le général de Gaulle en 1947. Ce parti tolérait la double appartenance politique. Elle avait refusé, car en assistant à une réunion publique du RPF local elle avait reconnu d’anciens collaborateurs. Elle continua à fréquenter amicalement le Dr Jouve et sa femme.
En octobre 1946, Simone Pellissier fit un dossier d’homologation de grade FFI. Elle déclarait avoir eu comme pseudonymes "Liliane Lorrain", "Joëlle Girau" et "Éliane Sarlin" dans la Résistance. Elle ajoutera ultérieurement "Renée". Elle reçut des attestations écrites du vice-président du MLN (ex-MUR), d’Henry Aubry, ancien chef de Combat-Sud-Est et ancien chef d’état-major de l’AS, du colonel Cusenier, commandant le Groupe de Subdivision de Gap, et du commandant Vial, président de la Commission départementale des Basses-Alpes. En 1948, on lui adressa un certificat d’appartenance aux FFI signé par le général Astier de Villatte, commandant la IXe région militaire. Elle était alors membre de la section niçoise de la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance (FNDIR). La même année, elle fut homologuée au grade d’assimilation d’aspirant. En 1956, elle obtint le statut Déporté et Interné de la Résistance. Elle vivait au 9 rue de l’Hôtel de ville à Laragne.
Durant l’été 1969, elle assista à l’inauguration de stèles aux camps de Brens et de Rieucros. Elle y retrouva des camarades et se lia à d’autres internées, comme Paula Ruess, militante du KPD allemand réfugiée en France, puis résistante de la MOI (Main-d’œuvre immigrée).
Simone Pellissier fut gratifiée de très nombreuses décorations. Citée à l’ordre de l’armée le 11 novembre 1944 par décision du général de Gaulle, qui dirigeait le Gouvernement provisoire de la République, elle fut décorée le même jour de la Croix de guerre 1939-1945 avec palme. En 1946, on lui remit la Médaille de la Résistance et la Médaille des Évadés. Elle reçut la Médaille commémorative française de la guerre 1939-1945 avec agrafe "Engagée volontaire". En 1979, elle fut nommée Chevalier de l’Ordre national du Mérite. Charles Hernu, ministre de la Défense, la décora en 1983 de la Croix du Combattant volontaire avec Barette "Guerre 1939-1945". Elle était domiciliée 17 avenue Charles de Gaulle à Laragne. En 1991, le ministre de la Défense Pierre Joxe la nomma Chevalier de la Légion d’honneur.
Décédée le 18 octobre 2003 à Volx, elle fut enterrée au cimetière du Bourg de Digne. En 2004, la municipalité de Digne baptisa Avenue Simone Pellissier la troisième et dernière tranche de la pénétrante qui avait été ouverte à la circulation en 2001 (entre le rond-point des Escoubes et le giratoire des Insurgés de 1851).
Œuvre : Femmes en Résistance (coécrit avec Thérèse Dumont) ; préfacé par Lucie Aubrac, Marie-Claude Vaillant-Couturier et Anna Tardy, Éditions de Provence, 1994.
Sources : SHD Vincennes, GR 16 P 525615. — Arch. Dép. Alpes-de-Haute-Provence, Recensement de la population de Digne, 1921, 6M090. — Arch. com. Digne, Bulletin de vote de 1945 ; « Simone Pellissier » (article biographique sur l’intéressée), 2003 ; « Les femmes au conseil municipal » ; 44 Fi 15474. — La Provence, « Digne-les-Bains : hommage à la résistante Simone Pellissier », 16 mai 2023. — Suzanne Bonnet-Odru, Les Femmes dans la Résistance des Basses-Alpes, Les Cahiers Bas Alpins de la Résistance, 2001. — Thérèse Dumont et Simone Pellissier, Femmes en Résistance (préfacé par Lucie Aubrac, Marie-Claude Vaillant-Couturier et Anna Tardy), Éditions de Provence, 1994. — Site Match ID, Acte n°29, Source INSEE : fichier 2003, ligne n°484454. — « Les évasions », Site consacré au camp de Brens. — « Colette Sanson » (récit de Colette Lucas), blog de Laurent Calut consacré à Véronique Sanson, 9 janvier 2009.
Iconographie : Arch. com. Digne. — Ville de Paris / Bibliothèque Forney. — Femmes en Résistance, Éditions de Provence, 1994.
Version au 3 octobre 2024.
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