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Renaud Poulain-Argiolas

D’ALESSIO Nicolas. Pseudonymes dans la clandestinité : MORENO ; Commandant MORENO ; RICHARD Gabriel

Dernière mise à jour : 9 oct.

Né le 12 novembre 1913 à Marseille (15e arr., Bouches-du-Rhône), mort le 20 septembre 1999 à Martigues (Bouches-du-Rhône) ; chauffeur, camionneur puis concierge  ; militant communiste de Marseille puis de Martigues ; syndicaliste CGT ; résistant des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF), chef du 1er détachement de la 2e compagnie de Provence, commandant de la 12e compagnie des Basses-Alpes, puis commandant de la 17e compagnie des Basses-Alpes, commandant de secteur, commissaire aux opérations régional (COR) des Alpes-Maritimes ; commandant du 18e Bataillon de chasseurs à pied "Riviera" ; gardien du siège de la Fédération communiste des Bouches-du-Rhône pendant les attentats de l’OAS.


Nicolas D'Alessio (à droite), dans sa tenue de chauffeur chez Rivoire et Carret, années 1950.

Nicolas D’Alessio vit le jour à Marseille, 33 boulevard de la Méditerranée, au domicile de ses parents. Ces derniers, Filippo dit "Philippe" D’Alessio et Antonetta dite "Antoinette" Chirico, étaient originaires de Torre Annunziata (métropole de Naples) dans la région Campanie (Italie). Catholiques pratiquants, ils n’étaient pas politisés. Ils avaient neuf ans d’écart et étaient vraisemblablement venus s’installer en France peu de temps après leur mariage. Filippo D’Alessio avait travaillé comme vendeur de biens immobiliers en Italie. En France, où il vécut à partir de 1897, il exerça plusieurs métiers, dont ceux de marin et de chiffonnier. Il emménagea avec sa femme Maison Grangier, dans le hameau de la Gavotte (commune actuelle des Pennes-Mirabeau), une adresse qu’ils garderont longtemps.


En mai 1923, Philippe D’Alessio bénéficia d’un décret d’admission à domicile, un acte lui accordant pour cinq ans les mêmes droits que les citoyens français. Il avait été précédemment condamné à huit jours de prison assortis d’une expulsion, mais n’aura par la suite plus d’ennuis avec les autorités françaises. Après la suppression des décrets d’admission en 1927, il fit une demande de naturalisation française pour lui, sa femme et leurs quatre enfants mineurs : Micheline née en 1911 ; Nicolas né en 1913 ; Angèle née en 1916 ; Antoine-Paolo né en 1918. Philippe D’Alessio avait alors huit enfants, dont la moitié étaient majeurs et travaillaient comme ouvriers. Le couple aura au total dix-sept enfants dont une partie mourut en bas âge. En plus des précités, Laurent, Marie et Joseph D’Alessio parvinrent également à l’âge adulte. Le 31 mars 1931, les parents D’Alessio ainsi que Nicolas, Angèle et Antoine-Paolo étaient naturalisés français (annonce au Journal officiel le 12 avril 1931).


Nicolas D’Alessio grandit dans la misère avec un père alcoolique et violent. Enfant, il n’avait pas toujours de chaussures aux pieds, volait des poules et fut déscolarisé avant le certificat d’études. Pour pouvoir le faire travailler, ses parents devaient obtenir une autorisation écrite du curé de la paroisse. Un jour, sa mère invita le prêtre à manger chez eux. Nicolas monta dans un arbre pour ne pas voir l’ecclésiastique. À douze ans il fut finalement embauché dans une tuilerie de L’Estaque. Il y perdit un doigt. Il apprit à conduire par ses propres moyens et devint chauffeur routier. Renvoyé de plusieurs entreprises, il vécut un temps de combines et de coups qu’il réalisait avec ses frères. De mémoire familiale, c’est l’engagement politique qui le mit sur le droit chemin, lui évitant de définitivement mal tourner. Sa sœur Angèle et le mari de celle-ci, François Oliva, tous deux militants communistes, le firent rejoindre le PCF dans les années 1930. Il se syndiqua à la CGT.


Appartenant à la classe 1933, Nicolas D’Alessio fit son service militaire à partir d’octobre 1934, dans le 9e régiment de cuirassiers à Lyon. Il dépendait du bureau de recrutement de Marseille et était 2e classe sous le matricule 3266. Le 9 juin 1935, il partit en permission de 36 heures à Marseille. Le 11, il obtenait une prolongation de permission de trois jours pour raison de santé, puis, le 15 juin, une deuxième prolongation de dix jours. Le 3 juillet, un médecin militaire lui accordait un nouveau délai de huit jours, « avec ordre de rejoindre Lyon, le 4 juillet ». Il aurait cependant quitté sa famille et gagné Marseille. Déclaré déserteur le 20 juillet 1935, il fut arrêté par la Sûreté aux Aygalades le 5 septembre. Il ne donna aucun motif d’excuse. Deux mois avant la fin de son service, il avait quitté son régiment en possession de ses vêtements militaires qu’il avait laissés chez ses parents. Un rapport de gendarmerie précise qu’il était mal noté et « fréquentait avant d’être militaire les milieux interlopes de Marseille ». Le Tribunal militaire permanent de Lyon le condamna fin octobre 1935 à six mois de prison pour désertion en temps de paix avec emport d’effets militaires. On lui accorda toutefois des circonstances atténuantes. Il avait déjà été condamné dans le passé : en 1934 pour tentative de vol et en 1935 pour port d’arme. Le jugement fut exécutoire à compter de septembre 1935. Une fois la peine expirée fin janvier 1936, il fut affecté au 6e régiment de cuirassiers avant d’être renvoyé dans ses foyers au mois de mai. Ces délits de jeunesse allaient le rattraper une dizaine d’années plus tard.


Le 29 août 1936, il se maria à Marseille avec Ida Baldetti, sans profession, née à Cortone (province d'Arezzo) en région Toscane (Italie). Le couple aura un fils : Pierre, né en 1937 à Marseille.

D’Alessio participa au Front populaire et au grand mouvement social qui l’accompagna. En août 1937, il fut embauché par la SGTM (Société générale des transports maritimes à vapeur). En prévision de la guerre, il fut mobilisé le 27 août 1939 au 55e GRDI (Groupe de reconnaissance de division d'infanterie). Il fut démobilisé le 29 juillet 1940, après la défaite française face à l’Allemagne. Il racontera dans son dossier de demande d’homologation en juillet 1950 être passé à la résistance individuelle en juillet 1940. À Marseille, il dit avoir distribué des tracts – vraisemblablement du Parti communiste clandestin – contre Vichy et la collaboration, fabriqué des engins explosifs à l’atelier de la SGTM et formé plusieurs équipes de sabotage sur les chantiers de la base sous-marine allemande au Cap Pinède, dans le nord de la rade de Marseille.


D’Alessio déménagea plusieurs fois en peu de temps : en mai 1939, il était domicilié 6 rue de Ceylan à Marseille ; en mai 1942, il vivait au 11 rue Édouard Vaillant (3e arr.). Son mariage se passait mal. Ces changements de domicile pourraient-ils y être liés ?

Le 8 mai 1942, il reçut un ordre de réquisition individuelle. Probablement pour sa qualité de chauffeur. Est-ce que c’est à ce moment-là qu’il fut chauffeur pour Fraissinet, directeur de la Compagnie Fraissinet ? La famille d’armateurs contrôlait aussi les Chantiers et Ateliers de Provence de Port-de-Bouc. De mémoire familiale, il se serait vanté d’avoir transporté des explosifs sous le siège du directeur. Il travaillera pour SGTM jusqu’à la fin du mois d’avril 1943.


Nicolas D’Alessio fit l’objet d’une procédure de révision de naturalisation au titre de la loi du 22 juillet 1940 qui visait les anciens étrangers juifs, communistes ou auteurs de délits. Son dossier passa plusieurs fois entre les mains de la commission de dénaturalisation. Le 2 mars 1942, aucune décision ne fut encore prise. Une enquête fut menée sur lui, durant laquelle le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire permanent de la 14e Division militaire de Lyon rappela le 12 juin qu’il avait été condamné pour désertion en temps de paix en 1935. Le commissaire se disait favorable à sa dénaturalisation. En conséquence de quoi la commission de dénaturalisation se montra favorable au retrait lors de sa séance du 20 octobre 1942. Le 16 décembre, la sous-commission spéciale au décret s’exprimait. La dénaturalisation de Nicolas D’Alessio fut décidée le 24 avril 1943 (annonce au journal officiel le 4 mai 1943). Le 6 août, le Préfet des Bouches-du-Rhône écrivit au Garde des Sceaux qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour « vol, complicité, recel et trafic de denrées contingentées ». Le décret fut notifié à l'intéressé le 18 mai 1943, ainsi que le 21 août. Cependant, comme on ne le trouvait pas à son adresse, on ne put le faire se rendre auprès des autorités, comme le voulait la procédure, pour lui annoncer en personne la perte de sa nationalité française.


Il aurait été dénoncé en octobre 1943. Ayant vu par la fenêtre deux hommes portant de longs manteaux et des chapeaux, il s’habilla avant élégance et passa devant la Gestapo sans être reconnu. Sa sœur Angèle le mit en lien avec un contact qu’elle avait dans les Basses-Alpes (actuelles Alpes-de-Haute-Provence). Il rejoignit Barrême en train et s’engagea le 27 octobre dans les Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF) du sous-secteur de Digne. Le commandant du sous-secteur était "Serge" dit "Maxime" (voir Georges Alziari). Vers octobre-novembre 1943, plusieurs groupes se formèrent dans le secteur. Nicolas D’Alessio était à la tête de celui du Chambon (entre Espinouse et Saint-Jeannet). Il répondait au pseudonyme de "Moreno". Au fur et à mesure de la création de nouveaux groupes, René Barlesi procédait à l’immatriculation des FTP et Jean Senatore dit "Borde" leur apportait la liste des numéros qu’on leur avait attribués. D’Alessio reçut le matricule 62.125. En règle générale, les compagnies comprenaient un état-major et trois détachements, eux-mêmes formés de trois groupes de huit hommes. Fin novembre ou début décembre, les groupes du Chambon, de Polignac - ayant pour responsable Ludovic Monnier dit "Ludo" ou "Combes" - et de Labaud - mené par Paul Settimelli dit "Rollando" - constituèrent les détachements de la 2e compagnie de Provence. L’état-major était constitué de Daignan alias "Yvan" au commandement, Louis Settimelli, frère de Paul, dit "Claude Leclerc" ou "Bob", comme commissaire aux effectifs, et Stéphan, un Bulgare, comme commissaire technique. D’après l’ouvrage du résistant Jean Garcin (voir sources), qui dirigea des MUR (Mouvements unis de la résistance) dans la région, ces premiers groupes avaient un armement disparate et souvent lacunaire : « fusils de chasse, quelques grenades exceptionnellement, dans le meilleur des cas, un vieux fusil de guerre. (…) Quelquefois un vieux revolver récupéré qui ne marchait pas au moment voulu. »


Couverture du livre de Jean Garcin

Garcin date à janvier 1944 le lancement des premières opérations de sabotage d’envergure, bien que D’Alessio les situe au mois de décembre. Nous suivrons la chronologie donnée par Garcin, qui, bien que parfois sujette à des contradictions, a l’avantage d’être extrêmement détaillée. Mi-janvier, après la rencontre accidentelle entre un groupe en mission de ravitaillement et une patrouille allemande (sur la route de Saint-Jeannet), le camp du Chambon de D’Alessio fut déplacé vers le Haut-Auran, sur la commune de Norante. Le 19 janvier avait été défini comme journée nationale de combat par le Comité militaire national (CMN). Pour l’occasion, l’état-major régional choisit de s’attaquer à l’usine d’alumine de Saint-Auban, à l’usine hydro-électrique de Sainte-Tulle, à la mine de Sigonce et à la ligne à haute tension du Poët, des cibles réparties sur une distance de plus de 80 km. Au total, c’est une trentaine d’hommes, mêlant membres de 2e compagnie et quelques légaux des 3e et 10e compagnies FTP, qui réalisa l’opération. D’Alessio et Gondolo dit "Berthelot" partirent avec un groupe du Haut-Auran. À la halte du Poil, ils prirent le train jusqu’à Mézel et continuèrent à pied jusqu’à Bellegarde et Polignac. Ensuite ils se rendirent à la ferme des Laugier, à Roues (commune d’Espinouse), où ils se divisèrent en deux groupes. L’un continua vers Les Mées et Saint-Auban – avec D’Alessio, Louis Laurens, Léopold Comte et "Geoffroy" –,  l’autre vers Oraison et La Brillanne. Le groupe de D’Alessio, dont le but était l’usine de Saint-Auban, retrouva Lopez à la Colle des Mées. Celui-ci les guida à travers le ravin de la Combe et le pont de Peyruis. Ils gardèrent leurs armes cachées sous leurs vestes, passant la Durance, le carrefour de la RN 96 et la voie ferrée, qu’ils suivirent jusqu’à la gare de Saint-Auban pour mener à bien l’opération.

Le choix des lieux, la préparation et le repérage concernant Villeneuve avaient été effectués par Monnier (Combes), avec les légaux de la 10e compagnie, et par D’Alessio pour Saint-Auban, avec l’aide d’un responsable du Parti communiste (probablement Coudoulet), qui facilita l’accès et le déplacement à l’intérieur de l’usine. Pour entrer Moreno se serait fait passer pour un ingénieur. Lui datera cet épisode à décembre 1943.


Le 21 janvier 1944, après le retour des équipes de saboteurs de leurs missions dans la vallée de la Durance (Saint-Auban et Villeneuve), un membre de la 2e compagnie, Félix Roman, fut tué à la passerelle du Poil par des miliciens qui passaient en voiture. L’état-major de la 2e compagnie et les groupes installés à Auran se rabattirent dans la vallée de Clumanc. D’Alessio et sa troupe de 25 à 30 hommes s’installèrent à la ferme Laval, au-dessus de Lambruisse. Selon Jean Garcin, Moreno y laissa « le souvenir d’un chef de camp sérieux et prudent, qui avait su faire accepter à ses maquisards une discipline indispensable qui ne manquait pas de rigueur. »

Le même mois, D’Alessio, Cionchini dit "Gros Gé" [il s’agirait de Joseph Chionchini] et une dizaine d’hommes, commandés par Yvan, sabotèrent la ligne Saint-Auban-Digne, au niveau d’Aiglun. Ils quittèrent Norante dans l’idée d’attaquer un « train blindé » supposé se déplacer de Digne à Saint-Auban. Jean Garcin juge que l’opération avait été préparée par Yvan « en dépit du bon sens ». Selon lui, elle aurait eu surtout un impact psychologique en interrompant le trafic. Il ajoute que « pour compenser le demi-échec de son sabotage », Yvan mena son groupe « à l’encontre des règles de sécurité les plus élémentaires, au domicile de Georges Alziari [commissaire aux opérations régional des FTP des Basses-Alpes] à Digne ». Les maquisards désapprouvèrent l’attitude de leur chef. Cionchini témoignera des conséquences négatives de cette action sur ceux qui y avaient participé. Durant le mois de janvier, Moreno participa à une embuscade contre une voiture d’officiers allemands.


Jean Garcin évoque un accrochage avec le poste allemand durant la nuit du 1er au 2 février 1944. Deux véhicules partirent en direction de Valensole pour retrouver Francis Roger dit "Franck". Parti chercher des armes dans la commune, Roger ne donnait plus de nouvelles. Yvan, Stéphan, D’Alessio, Louis Malignan dit "Barla", "Largue" et Abel Angelvin étaient à bord d’une voiture. Paul Chaillan était sur sa moto avec Louis Faure. Les deux véhicules se retrouvèrent dans une nuit brumeuse à proximité de Valensole. Dans la voiture, les deux légaux qui avaient des papiers en règle partirent en éclaireurs et entrèrent facilement dans le village. Ils se rendirent chez Paul Gayde et apprirent que rien d’anormal n’était à signaler. C’est alors qu’une fusillade éclata entre les partisans assis dans la voiture et des soldats allemands, peut-être alertés par des allées et venues suspectes. Louis Malignan et un Allemand furent touchés mortellement. D’Alessio et "Largue" rampèrent ensemble pour s’éloigner de la voiture mitraillée et s’éclipsèrent dans les champs. Ils se réfugièrent à proximité dans une bâtisse qui ressemblait à un château.

Le lendemain, les effectifs du poste allemand furent portés à une trentaine de soldats afin de ratisser les environs. Grâce à la moto de Paul Chaillan, la Wehrmacht localisa la provenance du commando. Dans la nuit du 2 au 3 février, elle remonta la vallée de l’Asse de Clumanc en passant par Barrême. Les maquis avaient été prévenus par téléphone, selon le code prévu pour signaler la présence ennemie, chez la famille Roman. Yvan ordonna la dispersion, qui se fit dans le désordre. Plusieurs groupes se retrouveront dans le secteur de Castellane, à Chasteuil, où la 2e compagnie allait reprendre forme. Ici, Jean Garcin commente : « Alors que leur compagnie était attaquée et que ses détachements se repliaient tant bien que mal, Yvan et Stéphan "récupéraient" en toute tranquillité à Barrême, confortablement installés bien au chaud devant une grande cheminée où fumait un copieux rôti. C’est ainsi que les retrouvera D’Alessio. »


Le 2 mars, l’état-major fut réorganisé : Manuel Lopez dit "de Las Héras" devint commissaire aux opérations [s’agirait-il de Manuel Lopez, ancien volontaire en Espagne républicaine ?], Philippe Giovannini dit "Souny" devint commissaire aux effectifs, et Marcel Battaglia dit "Vaillant" commissaire technique. Les détachements furent éparpillés, celui de Moreno s’installant à Eoulx (près de Castellane). Le 26 mars à 7h du matin, 450 soldats allemands et de nombreux officiers occupaient Castellane. Ils gardèrent le bureau de poste, perquisitionnèrent les immeubles et contrôlèrent tous les hommes de quinze à soixante ans. Une dizaine de résistants fut arrêtée, dont Manuel Lopez, Marcel Battaglia et Geoffroy. Le troisième réussit à s’évader et donna l’alerte. Baptistin Cauvin dit "Dubonnet", légal FTP de la 2e compagnie, prévint le groupe commandé par D’Alessio qui campait à la Garde, à moins de 5 km. Deux attaques allemandes, le 5 avril à la Braïsse, puis le 6 à la ferme Laval de Lambruisse, firent une vingtaine de morts parmi les maquisards. La ferme Laval fut incendiée et les corps des résistants tués furent mutilés.

La compagnie de Moreno s’était repliée vers le camp de triage dit d’Entrevaux (vers La Rochette). Entre le 3 et le 10 mai, les Allemands ratissèrent la zone comprise entre Annot et Puget-Théniers. En réaction, la 2e compagnie fut dispersée et le camp dissout, en ayant préalablement récupéré les armes parachutées du réseau Buckmaster que l’armée allemande n’avaient pas trouvées.


Moreno s’établit sur la commune de Draix, au pas de l’Escayon, près de la Rouine. Parmi ses hommes, il y avait Paul Rossi dit "Popaul Rossian", "Jean Robin" et Palmaro dit "La Fraise". Il y resta peu de temps. Dans le courant du mois de mai, il alla mettre sur pied la 12e compagnie dans le secteur de Thèze-Sisteron, à partir d’effectifs de la 2e. On y comptait entre autres André Gastaldo dit "Grosby", Bruno Spitoli dit "Viseur", Antoine Julien dit "Beny", Pieromati dit "Florindo" et Marius Beretta dit "Octaviani". Suite au débarquement du 6 juin 1944, les unités durent incorporer un grand nombre de nouveaux arrivants. L’organisation des FTP des Basses-Alpes devint un secteur à part entière, passant d’ex « sous-secteur F2 » à « région F3 ».

En plus de Moreno, la compagnie eut pour officiers Yvan Beck, puis Georges Beauchaton ; Gilbert Adrien, puis Étienne Blanc dit "Lemaçon", puis André Gastaldo. Le 8 juin, une partie des internés évadés de la citadelle de Sisteron vinrent grossir ses rangs. Certains allaient en devenir des responsables. Naviguant entre Sisteron-Theze-Turriers-Bayons, la 12e compagnie sera placée, à partir du 12, sous le commandement de Beauchaton. Le 16 juin, Moreno prit le commandement de la 17e compagnie, constituée dans le secteur de Sigoyer par l’autre partie des évadés de la citadelle de Sisteron. Louis Gazagnaire, un des évadés, en devint le commissaire politique. À une date non précisée du même mois, D’Alessio participa à une embuscade contre une compagnie de cyclistes allemands près de Sisteron.


Fixée aux abords de Bayons, la 17e compagnie FTPF effectuait la plupart du temps des opérations jumelées avec la 12e compagnie. Du 15 au 20 juin, elles réalisèrent ensemble des barrages et un contrôle des routes sur la Nationale 85. Après une mission de reconnaissance de Beauchaton le 6 juillet, il fut prévu de saboter le 8 le pont routier de Laragne. L’objectif était de couper la circulation sur la voie ferrée, le pont du Monetier sur la Durance, l’aqueduc du canal de Ventavon le long de la N 75 et une construction sur la D 4 entre Thèze et Tallard. Mais le 7 juillet, une panne de camion fit décaler d’un jour les opérations prévues. Le lendemain à 22h, cinq hommes conduits par D’Alessio se dirigeaient vers Laragne, pendant qu’une autre équipe, menée par Beauchaton, faisait sauter les ponts sur la D 4 et de Monetier. L’aqueduc fut seulement fissuré, ce qui suffit néanmoins à stopper la production des usines du Poët et du Beynon. Yvan Beck déplora que l’on n’ait pas respecté ses ordres.


Après l’évasion collective du 8 juin, le commandement du 3e sous-secteur FTP fut informé d’une faille dans la sécurité de la citadelle de Sisteron. Pendant trois jours elle n’allait être gardée que par douze hommes et cinq feldgendarmes à l’hôtel de la poste. Or il y restait encore 47 détenus. Les responsables des 12e et 17e compagnies élaborèrent une stratégie. Yvan Beck (Tito), D’Alessio, Armenier (Pavel), "Gilbert", Beauchaton, Étienne Blanc (Lemaçon), Félix (Sulz), Gazagnaire et Chabaud (Fanfan) participèrent notamment aux délibérations. Jean Garcin rapporte qu’une fois mises de côté les propositions les plus fantaisistes (comme celle d’envoyer des cordes par dessus les remparts…), on constitua quatre groupes. Deux groupes de sécurité, au Sud (vers Bons-Enfants) et au Nord (sur la route de Gap), effectueraient des actions de barrage habituelles. Un groupe de protection en ville, tout aussi habituel, serait chargé de sécuriser et, au besoin, de renforcer le quatrième groupe, sorte de cheval de Troie de l’opération. Ce dernier serait un faux convoi composé de maquisards déguisés. Grâce à des complicités parmi les gendarmes, les résistants se procurèrent cinq uniformes. Cinq autres d'entre eux joueraient les rôles de prisonniers prétendument repris après leur évasion et ramenés sous escorte à la citadelle. Afin de ne pas compromettre l’opération, on allait faire démonter aux faux prisonniers leurs mitraillettes pour les cacher dans leurs musettes. On entraîna les partisans en les chronométrant pendant qu’ils remontaient les armes. Seuls les plus rapides furent choisis pour participer à l’opération. Les groupes de barrage furent être mis en position la veille au soir, avant l’heure du couvre-feu. Le groupe de protection arriva en ville vers 19h, moment de la sortie d’usine des ouvriers, pour ne pas être repéré. Le groupe d’action, lui, n’entra en jeu que le jour J, le 21 juillet à 6h30 du matin. La mission fut couronnée de succès, sans aucune perte du côté des FTP.


En juillet 1944, l’emploi du temps de Nicolas D’Alessio est plus difficile à reconstituer, car les informations sur les opérations qu’il menât peuvent se contredire par moments et des dates se chevauchent dans les Basses-Alpes et les Alpes-Maritimes. Jean Garcin précise que Moreno était encore actif à Laragne le 8 juillet, tandis que l’intéressé lui-même écrit dans des notes personnelles avoir été muté à Nice le 2 juillet et installé au Palais Stella. Dans la liste qu’il dressa de ses principales missions, il évoque la citadelle de Sisteron, mais en juin et non en juillet. Pourtant plusieurs témoignages le situent dans la commune le 21 juillet pour l’évasion de la citadelle. D’après ses notes, le Comité militaire régional F2 le nomma le 4 juillet (il écrira ailleurs le 20 juillet) commissaire aux opérations régional (COR) des Alpes-Maritimes avec le grade de commandant. Il était alors à la tête de 2500 membres des FTPF et des Milices patriotiques. Dans le Poste de commandement il dit retrouver un certain « Giovanelli » alias "Souny" à la fonction de commissaire aux effectifs [ll s’agit très probablement de Giovannini]. Il mentionne aussi Allavena alias "Armand", commandant des Milices patriotiques, et "Marius", responsable de la répartition de l’armement.

Serait-il possible que Moreno soit revenu dans les Basses-Alpes pour finaliser les missions qu’il avait contribué à élaborer, comme la prise de la citadelle de Sisteron ? Lors de cette dernière, parmi la quarantaine de prisonniers qu’il contribua à libérer il y avait son beau-frère François Oliva et Hector Azzini. En revanche, il n’était déjà plus dans les Basses-Alpes lorsque l’attaque du maquis de Bayons eut lieu le 26 juillet 1944. Menée par le groupe de chasse allemand du capitaine Staudacker et des éléments de la 8e compagnie Brandebourg, composée en partie de Français, cette attaque surprit les FTP des 12e et 17e compagnies dans leur sommeil. Elle fit 24 morts : 21 maquisards et 3 adolescents, massacrés dans une ferme voisine.


Le commandant Moreno

Après sa nomination comme commissaire aux opérations régional, Nicolas D’Alessio dut contacter les différents responsables et courriers. Attendu qu’il travaillait en étroite collaboration avec Souny, dans tous les événements qui suivent, Moreno et Souny sont en binôme. Ils rendirent visite à la 8e compagnie de FTP, positionnée à Tourrette-Levens. Devant l’avancée des Alliés, des troupes allemandes s’étaient installées dans le secteur. Lors du combat pour contrôler la route, les résistants avaient dégagé un pont et emprisonné onze Allemands dans la gendarmerie de Lantosque. Parmi les prisonniers, un Polonais enrôlé de force par les Allemands proposa ses services de mitrailleur. Ses compétences firent forte impression. La Wehrmacht voulant sans doute reprendre le contrôle de la route, les combats durèrent toute la journée. Moreno et Souny restèrent en contact avec le personnel de la poste de Saint-Laurent-du-Var, qui évita à leurs troupes d’être prises en tenaille par l’ennemi. Leur mission principale était de tenir le plateau où devaient atterrir des planeurs. Le soir la Wehrmacht se replia. Aucun planeur ne se fit voir. Entre juillet et août, Moreno participa également à quatre jours de combats à Levens et Saint-Jean la Rivière (commune d’Utelle).


Les deux commissaires se rendirent à Nice pour organiser une diversion empêchant les Allemands d’envahir la route d’Italie, essentielle pour ces derniers. À la fin du mois d’août 1944, Moreno participa à une des quatre réunions du Comité insurrectionnel de Nice avec d’autres membres du Comité militaire régional (CMR). Dans des notes personnelles il mentionne des noms correspondants à ses homologues : « Souny – Allavena – Gras – Houat – Maurin – Gambassi ». À l’hôpital Pasteur, des groupes d’intervention des FTPF furent préparés avec des objectifs précis : « l’état-major allemand, la Gestapo, La Poste, la Préfecture, le siège fasciste "La Casa d’Italia", la mairie… » Au nom du CMR, D’Alessio dit avoir pris contact avec le « chef de l’Armée secrète » (gaulliste). Les relations étaient tendues entre représentants communistes et gaullistes de l’autorité. Celui-ci lui aurait répondu : « J’attends le jour J et l’heure H ». Devant l’« attitude frileuse » de son interlocuteur, Moreno l’avertit que le jour suivant l’insurrection serait lancée à 5h du matin.


Reconstitution de la distribution de grenades au garage Renault le matin du 28 août [crédit photo : Musée de la Résistance Azuréenne]

Le lendemain, 28 août, des groupes de femmes FTP diffusèrent des tracts pour appeler les habitants à jeter sur l’armée allemande tout ce qu’ils pourraient : « grenades, briques, pierres... ». Moreno fut touché par le courage de la courrier Jeanine, seize ans, et de Lucie, mère de famille. Dans son récit des événements il se fait incisif : « Des groupes armés de toutes tendances se joignaient à nous, quand nous leur demandions où étaient leur chef, ils nous répondaient : "Nos chefs ne veulent pas se battre." » Comme les gendarmes s’opposaient à l’installation du groupe de fusil mitrailleurs près du point stratégique qu’était la gendarmerie, ils furent désarmés et enfermés dans le bâtiment. L’armée allemande était en déroute. Alors que tous les objectifs stratégiques avaient été remplis, un tract signé "Capitaine André" [c’était le commandant de la section de gendarmerie de Nice], inconnu du commandement résistant, annonçait qu’une trêve avait été acceptée pour secourir les blessés. D’Alessio fit tirer immédiatement un tract à la ronéo pour donner un contre-ordre à tous les groupes : « Accentuez la pression pour abattre complètement la bête nazie, dorénavant, ne prenez en compte que les consignes signées du Commandant MORENO. » Le commandant du Génie allemand, qui avait reçu l’ordre de faire sauter le pont de Nice, négocia sa capitulation en début d’après-midi en échange de sa vie et de l’abandon du projet d’explosion. Sa reddition entraîna la libération de la mairie et sonnait la fin de l’insurrection.


D’Alessio évoque une anecdote savoureuse à propos d’un navire de guerre français. Intégré à l’escadre de guerre américaine, le vaisseau accosta dans le port de Nice. Son commandant désobéit à l’amiral américain qui lui ordonnait de rejoindre la flotte : lui voulait serrer la main des résistants français ! Il proposa à Moreno de venir sur son bateau pour participer au bombardement de San Remo. Ce dernier refusa, car sa mission n’était pas terminée. Ce même 28 août, le général De Gaulle décidait la dissolution des FFI pour les intégrer dans l’armée régulière. Il faudra plusieurs mois pour que ce processus soit complètement acté dans le département. Ajouté à cela, il faut tenir compte du fait que, même si en théorie les FTP (communistes) et l’Armée secrète (gaulliste) avaient fusionné dans les FFI depuis fin décembre 1943, ce n’était pas le cas dans l’entourage du commandant Moreno. Malgré les affiches "Réservé aux Américains" placardées sur les hôtels, le poste de commandement FTPF (dont Souny, Houart, Allavena – selon les notes de Moreno) s’installa à l’Hôtel Splendid. Ses membres, responsables de l’ordre dans Nice et sa région pour quelques jours, durent prendre des mesures drastiques contre le pillage.


Le Bataillon Riviera (18e BCA)

Le 28 août encore, l’État-major militaire français chargeait le colonel Lanusse du commandement FFI des Alpes-Maritimes et des Basses-Alpes. Il allait arriver à Nice début septembre. D’après Moreno, le CMR nomma le "lieutenant Job" (René Houat) « pour faire la liaison entre les FTPF et les autres groupes ». Pour être plus précis, Job (chef départemental FTP) devenait le sous-chef FFI du nouvel état-major du département aux côtés du chef départemental Lecuyer alias "Sapin" (ancien chef régional ORA – résistance giraudiste) et du chef d’état-major Gautier alias "Malherbe" (lui aussi de l’ORA). La création du "Bataillon de la Riviera", commandé par Moreno, fut une des conséquences de cette recomposition. Reprenant la tradition du 18e BCA (Bataillon de chasseurs alpins), il était, selon son commandant, composé à 80 % de FTPF. Le colonel Lanusse leur ordonna de s’installer dans la caserne d’Antibes. Vu qu’elle avait été dévastée par les Allemands, ils investirent l’Hôtel Gallia à Cannes.


Le 1er octobre, l’état-major FFI des Alpes-Maritimes remit à D’Alessio un laisser-passer permanent « sur l’ensemble du territoire français, de jour et de nuit et armé, pour les besoins du service » au nom de "Commandant Gabriel Richard". Les autorités civiles et militaires devaient lui prêter assistance. Sollicité pour défiler le 11 novembre à Cannes, le Bataillon de la Riviera dut suivre une semaine d’apprentissage intensif pour être capable de faire la parade. Il défila avec des unités britanniques, américaines, françaises et un détachement de l’Armée rouge qui clôturait la manifestation. Suivit un discours du député communiste Henri Pourtalet, membre de l’Assemblée consultative provisoire.

Nicolas D’Alessio signa un engagement pour la durée de la guerre dans la cavalerie motorisée. Comme signes particuliers, on notait le concernant : "31 ans. Chauffeur. Demeurant à Maison Grangier, La Gavotte, Marseille. 1,75m. Cheveux châtains."

D’Alessio mentionna avoir reçu la Croix de guerre 1939-1945 à l’ordre de la division par la XVe Région militaire, subdivision de Nice, en janvier 1944. Dans son dossier de demande d’homologation de 1950, il précisait qu’il participa à la suite des opérations de la Vésubie et de la Tinée jusqu’en décembre 1944. Cette partie a été soulignée en rouge et annotée de points d’interrogation. Faut-il comprendre qu’il y eut désaccord sur les opérations reconnues par l’autorité militaire ou sur les dates ?


Carte de FFI de Nicolas D'Alessio sous son pseudonyme "Gabriel Richard"

Du fait de son grade de commandant, Nicolas D’Alessio fut contraint de faire une école de cadres de l’armée. Il suivit celle de Castres (Tarn) durant un mois puis celle d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) durant un nouveau mois. Il sera renvoyé dans ses foyers en avril 1945. On pourra s’étonner du contraste de ton saisissant dans les commentaires le concernant, selon qu'ils viennent des chefs FFI et ou des responsables des écoles d’officiers qu’il fréquenta. En décembre 1944, le chef départemental FFI de Nice écrivait, élogieux, à son sujet : « A fait preuve d’un courage et d’un cran admirables pendant la période clandestine participant personnellement à des opérations dangereuses. A montré des qualités qui orientées par des stages de formation doivent lui permettre d’assumer les fonctions de son grade. » Et le chef régional FFI ajoutait quelques jours plus tard : « Maintenu dans le grade de commandant (de par ses fonctions et ses titres dans la résistance). » À la même époque, la commission régionale et d’homologation des grades FFI-R2 trouvait sa conduite « irréprochable », son jugement « sain », qu’il était doué d’une « bonne initiative » et de « sentiments patriotiques très élevés ». Il avait obtenu 16,5/20 comme note d’ensemble, « AB » en qualité d’organisation et « AB » en aptitude au commandement.

Au Centre de Perfectionnement des Officiers Supérieurs (CPOS) de Castres, le chef de bataillon Pazat faisait en mars 1945 des observations assez gratifiantes : « Cavalier de 2e classe de réserve. Apte physiquement à faire campagne. Tenue correcte. Intelligent : Esprit un peu lent mais réfléchi, possède une instruction primaire. Très bonne conduite. Caractère ouvert, franc, gai, très sympathique. Éducation correcte. Entraîneur d’hommes. A suivi le stage avec une bonne volonté évidente mais il est loin de posséder les éléments de base indispensables pour suivre avec profit le stage à la première Armée. » En revanche, le commandant Carribou, directeur des études, écrivait sèchement en mai 1945 (au nom du lieutenant-colonel Fatigue, commandant du CPOS) : « Inapte au stage de 1ere Armée. Peut être utilisé pour l’encadrement d’unités élémentaires. »


Après le stage d’instruction des officiers supérieurs FFI à l’École des cadres d’Aix-en-Provence, le colonel Onofri, commandant de l’école, commentait en mai 1945 d'une plume trempée dans l'injure : « Le commandant FFI d’Alessio est à rayer purement et simplement de l’Armée. A été condamné à plusieurs reprises, et non au titre de la Résistance. S’est conduit depuis la libération dans des conditions peu dignes d’un patriote. N’a aucun moyen intellectuel, et absolument aucune connaissance militaire. Ne peut même pas faire un brigadier malgré ses prétentions qui sont vastes. » Compte tenu du ton excessivement hostile, on peut se demander si le colonel n’aurait pas pris D’Alessio en grippe. Mises à part les phrases vexatoires, on trouve deux griefs. Le premier, portant sur les condamnations, semble renvoyer à la période 1934-1935. Il est intéressant de constater que quel que soit le régime, ces vieilles affaires servent à sanctionner continuellement l’intéressé, sans tenir compte de ce qu’il avait accompli depuis. Le second grief relevant de son manque de patriotisme est obscur. S’agirait-il d’un désaccord politique avec la hiérarchie ? En l’absence d’éléments concrets, il est difficile de trancher.

Au mois de février, D’Alessio avait reçu un courrier du directeur des Cours Pigier, une école de commerce (sise 3 boulevard Dubouchage à Nice) quand il était stagiaire à Castres. Il avait envoyé un mémoire en décembre 1944 et demandé la restitution ou le rembousement d’une machine à écrire de la marque Underwood, qu’on lui avait précédemment réquisitionnée. On lui avait répondu que la machine était toujours utilisée par les services qui l’avaient réquisitionnée et on le priait d’adresser le mémoire audit service. Pourrait-ce être la raison pour laquelle il fut maltraité par la direction de l’école ? On peut en douter. La situation paraît s'être détériorée après qu’il ait envoyé son dossier d’homologation en 1950. Son dossier individuel d’officier FFI porte une annotation ajoutée près de sa fonction de commandant : « Le 29 août 1950, décision maintenue ». L'annotation fut barrée par la suite et commentée par « Rayé des cadres FFI » et « remis 2e classe ».


Nicolas D'Alessio en uniforme lors d'une commémoration

On proposa à Nicolas D’Alessio de faire la guerre d’Indochine. Il refusa et reprit son travail de chauffeur à Marseille, conduisant désormais des semi-remorques pour l’entreprise Rivoire et Carret, basée à La Pomme. En décembre 1945, il était membre de la section marseillaise de l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre (ARAC). À la fin des années 1980, il allait encore tous les ans aux commémorations. Il était revenu vivre à La Gavotte, Maison Grangier, dans le quartier de Saint-Antoine. En conflit avec sa femme depuis son retour, il divorça en mars 1946. Peu de temps après, il rencontra Marie-Antoinette Demino, née en 1926, guichetière à la Poste Colbert de Marseille. Ils se remarièrent le 10 décembre 1946 dans la commune. Le couple aura trois filles : Nicole en 1947, Josette en 1952 et Mauricette en 1954.


Jean Senatore, ex-chef FFI de sous-secteur bas-alpin, lui fit une attestation en mai 1951 pour faire reconnaître son action dans la Résistance. D’Alessio reçut un certificat d’appartenance aux FFI daté du 5 septembre 1952 et signé par le général de division Molle, commandant la IXe Région militaire, pour son action dans les FTPF des Basses-Alpes du 1er octobre 1943 au 30 juin 1944, puis dans les FTPF des Alpes-Maritimes du 1er juillet 1944 au 29 août 1944.

Le ministère de la Défense nationale lui envoya en date du 16 novembre 1953 une homologation au grade d’assimilation de capitaine décidé par arrêté du 21 octobre 1953 (annonce au JO le 1er novembre 1953) avec effet au 9 juin 1944. Le document était signé par le lieutenant-colonel Canonne, chef du 6e bureau de la direction du personnel militaire de l’armée de terre.


Militants communistes posant autour de la "baraka". D'Alessio se tient à droite du véhicule.

C’est au vu de l’expérience de Nicolas D’Alessio dans la Résistance que Pierre Doize fit appel à lui pour garder le siège de la Fédération du PCF des Bouches-du-Rhône, que l’OAS avait menacé d’attaquer. À partir de novembre 1961, la famille D’Alessio vécut donc à la « Fédé », 25 rue Saint-Basile à Marseille. La fonction de Nicolas D’Alessio tenait à la fois du concierge et de la vigie. C’était un militant à temps complet. En plus de participer aux réunions et aux collages avec les autres militants, il faisait des rondes régulières et vivait dans un climat aux airs de guerre civile. Dans le bâtiment de la Fédération communiste, des bureaux avaient été aménagés en appartements afin de loger la famille et des plaques de fonte avaient été installées devant les fenêtres pour les protéger des attaques. À l’extérieur des locaux de la fédération, il y avait un poste de garde avancé que les militants appelaient la "baraka" : un camion blindé muni de meurtrières. L’OAS faisait des passages fréquents. Un militant communiste avait été blessé par balle.


Marie-Antoinette D’Alessio était également engagée au Parti communiste. Membre de l’Union des Femmes Françaises, elle était de plus investie au Secours populaire et peut-être adhérente du Mouvement de la Paix. Elle faisait le ménage à la « Fédé ». Leurs filles allaient toujours à l’école avec elle, jamais seules. Un jour elle vit des hommes déposer un objet suspect dans le caniveau. Elle prévint Nicolas et Pierre Doize qui neutralisèrent un engin explosif. Officiellement D’Alessio était chauffeur pour le PCF. Il conduisait les responsables comme Pierre Doize, recevait les cadres, certains venant même d’URSS. Il avait en outre un bateau stationné à L’Estaque avec lequel il les faisait visiter la côte. La famille accueillit à plusieurs reprises un certain « Cherif », qui aurait été un représentant important du FLN algérien.

Si Nicolas D’Alessio participa aux manifestations pour la paix en Algérie, il semble que sa femme ait poussé l’engagement un peu plus loin, puisqu’elle porta des valises pour l’organisation indépendantiste.

Le week-end il emmenait sa famille en bateau sur l’Île du Frioul, au large de Marseille, pour pique-niquer. C’était un militant peu commun : lorsqu’il vendait le muguet du 1er mai, il sollicitait même les prostituées et les proxénètes.


Lors d'une promenade à cheval en Camargue

Au terme de cette période de grande tension, la santé de Nicolas D’Alessio se détériora. Pour monter la garde, il ne dormait plus. De plus c’était un gros fumeur de Gitanes sans filtre. Il fut victime d’un infarctus. Il contacta Louis Sammut, qu’il avait connu dans la Résistance et qui était devenu secrétaire général adjoint de la mairie de Martigues. En septembre 1966, Francis Turcan, maire de cette commune, fit embaucher D’Alessio comme concierge par la SEMIVIM (société d’économie mixte qui gérait le parc locatif de la municipalité). Il sera concierge dans le quartier du Mas de Pouane jusqu’en septembre 1974.

Pendant la guerre du Vietnam, il participa à la mise sur pied d’un groupe des Jeunesses communistes dans le quartier. Les réunions se déroulaient dans une cave. Plus âgé que les jeunes militants, il était garant de la bonne tenue des réunions. Une de ses filles en fit partie. Par ce biais, de nombreux jeunes du Mas de Pouane purent se rendre à Paris en autocar pour participer aux manifestations contre la guerre. Dans le quartier, il participa à la création d’une cellule du PCF dont il fut responsable. Dans les années 1960, il aurait siégé au comité de section de Martigues. Dans l’immeuble dont il avait la charge, il sympathisa avec Jean-Claude Sautel, militant du PCF et de la CGT, qui vivait là avec sa famille. Passionné de pêche, D’Alessio pêchait souvent « à la cannette », sur un petit bateau, au port de Caronte. Il passa le permis bateau en 1967. Marie-Antoinette D’Alessio faisait le ménage dans les immeubles du Mas de Pouane. En 1979, l’ancien résistant arrivé à la retraite, il déménagea avec sa femme dans le quartier des Capucins. Elle fut emportée par un cancer deux ans après. Il s’installa alors à Carro. Pour surmonter son chagrin, il se mit à pratiquer les danses de salon avec engouement. Bon danseur, il allait aux bals régulièrement avec ses deux plus jeunes filles.


En 1988, les anciens FTP des Basses-Alpes subirent un coup dur : le ministère de la Défense refusait de reconnaître la 2e compagnie FTP comme unité combattante avant le 1er juin 1944. Par conséquent il ne reconnaissait pas plus les 12e et 17e compagnies, nées de la précédente, que D’Alessio avait commandées. Jean Garcin lui écrivit à cette occasion, ainsi qu’à dix-neuf autres anciens responsables ou membres de la 2e compagnie, pour les encourager à envoyer des lettres de protestation. Garcin considérait les rejets du ministère comme « une insulte aux morts survenues durant cette période mais encore une tentative de négation de l’histoire pour ne pas dire une falsification. »


Retrouvailles entre Allavena, Moreno et Souny, années 1980

À l’occasion du 50e anniversaire de la Libération, Nicolas D’Alessio vécut un nouveau coup dur en lisant un article signé par Pierre Brandon dans l’Humanité du 29 août 1994. Le texte, intitulé « Nice glorieuse », racontait la libération de Nice vue par Brandon, qui avait été chargé par Georges Marrane de l’organisation du Front national dans la commune. Choqué par la version des faits, l’ancien commandant Moreno écrivit quelques jours plus tard à Claude Cabannes, directeur de l’Humanité, une lettre de cinq pages racontant la libération de Nice telle qu’il l’avait vécue personnellement. Il espérait « que la vérité sur l’insurrection de Nice soit rétablie ». Les deux récits diffèrent sur plusieurs points. D’abord, Brandon présente la mairie comme l'objectif principal à prendre à la Wehrmacht et il annonce avoir lancé son attaque à 12h30. Au contraire, dans la version de D'Alessio, la mairie était seulement un des objectifs principaux de l'assaut qui débuta au matin. Ensuite, Brandon sous-entend que les Allemands ont évacué l'hôtel de ville parce qu’ils avaient été battus par les combattants du Front national qu'il commandait. Le récit de D'Alessio mentionne lui que c’est parce que le commandant du Génie allemand avait négocié sa capitulation que les occupants ont quitté les lieux. Pour finir, Brandon ne parle pas des plans de défense de la Wehrmacht concernant la côte et l’Italie, pris à leur état-major, qui avaient été remis par Moreno au capitaine Jones, chef des services de renseignements de l’armée américaine, basé à Grasse. Selon la version du chef FTP, après avoir consulté des documents, le capitaine Jones lui offrit une mitraillette Thompson pour le remercier pour ces informations capitales. D’Alessio terminait son témoignage en expliquant qu’à l’origine, deux colonnes devaient être formées au moment débarquement allié en Provence : une pour remonter la vallée du Rhône et une pour aller en direction de l’Italie. Du fait des renseignements fournis aux Américains, ces derniers concentrèrent toutes leurs forces sur la vallée du Rhône, ce qui aurait permis, selon lui, de libérer Toulon et Marseille avant les dates prévues et d’aller à San Remo. D’Alessio insistait sur le fait que les troupes américaines n’avaient pas défilé dans Nice. Or elles avaient effectivement défilé dans Nice, mais le 30 août, alors que la ville avait été libérée la veille.

À cette époque, Nicolas D'Alessio était vétéran du PCF et domicilié à Moulin Saint-Roch, bâtiment M9, à Martigues.


Ne recevant pas de réponse de Claude Cabannes, il s’adressa à Pierre Zarka, rédacteur en chef de l’Humanité, puis au journal La Marseillaise, sans plus de succès. Il prit très à cœur l’absence de réponse des responsables du journal de son parti. Il écrivit donc au nouveau secrétaire national du PCF, Robert Hue : « Au lendemain de notre 28e Congrès où l’ouverture et l’expression au sein de notre parti ont été des données majeures, je n’accepte pas d’une part, que les faits réels relatifs à cette période soient niés et d’autre part, que des responsables de la presse communiste n’aient pas la correction d’accuser réception de mon courrier. (…) Je voudrais (...) m’adresser au Secrétaire National en tant que vétéran du Parti Communiste Français, mais aussi à la mémoire de tous ceux qui ont contribué à la Libération de la France. » Dans le cadre de la campagne des élections présidentielles, il proposait au responsable national de le rencontrer lorsqu’il passerait dans la région pour aborder cette question de vive voix.

Malheureusement, tous les destinataires de ses courriers firent silence sur cette affaire.


Nicolas D'Alessio vers la fin de sa vie [photo extraite de La Marseillaise]

En 1996 fut créée l’Association "Souvenir du maquis de Bayons", association de loi 1901, domiciliée sur la commune de Bayons. Nicolas D’Alessio y adhéra. Elle avait pour objectifs de "rassembler les participants aux opérations de guerre effectuées par la 17e compagnie de FTPF, basée sur le site de Bayons en 1944" ; "maintenir le souvenir des victimes du 26 juillet 1944, lors de l’attaque du camp par les troupes allemandes" ; "organiser toutes manifestations et cérémonies commémoratives de cette période". Marcel Put, un rescapé de l’attaque du maquis, en fut président [L’association sera dissoute en 2015]. En juillet 1997, Nicolas D’Alessio fut sollicité par Thérèse Dumont, historienne de la Résistance des Alpes-de-Haute-Provence. Au nom de l’Association des Amis du Musée de la Résistance et de la Déportation, elle lui annonçait l’ouverture prochaine à Sisteron d’un musée départemental et la collecte de « témoignages, documents, objets de cette époque ».


Se voyant décliner, Nicolas D’Alessio choisit de se donner la mort le 20 septembre 1999. Un dernier hommage fut rendu au commandant Moreno le 23 septembre au cimetière de Canto-Perdrix à Martigues, avant son incinération au crématorium de Manosque. La Marseillaise publia un article nécrologique dans lequel elle faisait allusion à la dernière cause qu’il avait défendue au sujet de la libération de Nice : « Il est regrettable que certaines personnes aient pu s’octroyer cet épisode de la Résistance et donner une autre version des faits que ceux qui se sont véritablement déroulés à cette époque. »


La fille aînée de Nicolas D’Alessio, Nicole, fut militante du PCF à Martigues et trésorière de la cellule de Carro - La Couronne. La cadette, Josette, fut militante des Jeunesses communistes au Mas de Pouane, adhérente au PCF et syndicaliste à la CGT. La benjamine, Mauricette, milita également au Parti communiste. Sa petite-fille Virginie Piazzolla fut secrétaire à l’organisation de l’Union locale CGT de Martigues.


Sources : Archives nationales en ligne, BB/27/1422-BB/27/1445 (dénaturalisés de Vichy). — SHD Vincennes, GR 16 P 154888. — Archives familiales. — Journal officiel. Lois et décrets, 12 avril 1931 (63e année N°86), pp. 4094, 4097 ; 1er novembre 1953 (85e année N°259), p. 9864. — Pierre Brandon, « La Marseillaise a 40 ans : 1944-1984 », La Marseillaise, 21 juin 1984. — Pierre Brandon, « Nice glorieuse », l’Humanité, 29 août 1994. — Pierre Durand, « Résistance en Haute-Provence », l’Humanité, 16 mai 1991. — Joseph Girard, « La participation des F.F.I. à la libération des Alpes-Maritimes » in La Libération des Alpes-Maritimes, Cahiers de la Méditerranée n°12, 1, 1976, pp. 17-28, mis en ligne sur Persee.fr. — « Hommage à Nicolas D’Alessio, alias Commandant Moreno », La Marseillaise, 23 septembre 1999. — Jean Garcin, De l'armistice à la libération dans les Alpes-de-Haute-Provence : 17 Juin 1940-20 Août 1944, Presses B. Vial, 1983 (pp. 166, 170, 173-175, 242-243, 247, 257, 347). — Marcel Put, « Sur le maquis de Bayons », extrait des Mémoires de Marcel Put, site de la Fédération Nationale de la Mémoire Vive de la Résistance. — Mémoire des Hommes, GR 19 P 4/30. — Site Match ID, Acte n°406, Source INSEE : fichier 1999, ligne n°507859. — Site Filae. — Témoignages de sa fille Josette D’Alessio et de sa petite-fille Virginie Piazzolla. — Mail de Jean-Louis Panicacci, président des Amis du Musée de la Résistance Azuréenne, 31 mai 2024.


1ere version : 1er juin 2024.

2e version : 4 juin 2024.


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Né le 27 novembre 1893 à Castiglione Messer Raimondo (province de Teramo) dans les Abruzzes (Italie), mort le 15 novembre 1943 à Fourques...

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Passionné d'histoire, j'ai collaboré pendant plusieurs années au Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - mouvement social.

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