GIORGETTI Lucien [GIORGETTI Alfred, Lucien]
Né le 10 février 1904 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), mort le 25 août 1966 à Port-de-Bouc ; ouvrier métallurgiste ; syndicaliste CGTU puis CGT ; militant communiste, conseiller municipal de Port-de-Bouc (1947-1959) ; résistant du Front national de lutte pour la libération et des Francs-Tireurs et Partisans français ; déporté à Buchenwald.
Le 20 octobre 1929, le Journal officiel de la République annonçait la naturalisation française de la famille Giorgetti : le père, Léonilde Giorgetti, né à Lucques (Lucca) en Toscane (Italie), riveur ; la mère, Caroline, Rosalie Vannucchi, née à La Ciotat (Bouches-du-Rhône) ; leurs enfants : Gabrielle, Émilie Giorgetti, née en 1915 ; Marcelle, Antonia Giorgetti, née en 1916 ; Émile, Joseph Giorgetti, né en 1923. Les parents avaient eu d’autres enfants précédemment, deux qu’ils avaient perdus en bas âge ainsi que trois garçons : Lucien, l’aîné de la fratrie ; Ernest, né en 1909 ; Michel, né en 1911. Tous les hommes de la famille travaillèrent aux Chantiers et Ateliers de Provence (CAP) à partir de leur ouverture en 1900.
Lors des élections municipales de mai 1935 à Port-de-Bouc, Lucien Giorgetti fut candidat sur la liste regroupant "communistes BOP [Bloc ouvrier et paysan] et antifascistes", animée par le Parti communiste. Il était alors ouvrier métallurgiste et syndiqué à la CGTU. À ses côtés figuraient notamment Henri Lazzarino, militant socialiste, et Clément Mille, militant communiste.
À partir de la fin de l’année 1940, la police de Vichy procéda à une série de perquisitions chez des militants qui avaient été fichés avant la guerre comme communistes ou syndicalistes. Certains, comme Véran Guigue, son fils Armand Guigue et Albert Boiteau, tous travaillant ou ayant travaillé aux CAP, furent arrêtés le 13 novembre. Habitant 35 rue Marceau, Lucien Giorgetti vit son domicile perquisitionné à plusieurs reprises. Le 12 décembre 1941 à 17h, il était interpellé à son travail, sur le port, sur ordre du commissaire spécial Trouette. En février 1942, une nouvelle perquisition à son foyer allait se solder par la saisie de journaux clandestins diffusés par le Parti communiste : Rouge-Midi et l’Humanité. Dans son dossier de demande d’homologation de 1948, Lucien Giorgetti mentionnait qu’il était résistant "isolé" en septembre 1940, faisait partie d’un triangle clandestin et avait été contacté par Charles Scarpelli. Au mois d’octobre, il avait participé à la reconstitution d’un syndicat illégal et distribué des tracts anti-allemands de septembre 1940 à décembre 1941.
Sans avoir été jugé, Lucien Giorgetti fut interné au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). Il prit part à la constitution d’un groupe de résistance à l’intérieur du camp et rejoignit en 1942 le Front national de lutte pour la libération par l’intermédiaire d’Armand Guigue. Il distribua des tracts de l’organisation. En juillet 1944, l’armée allemande, voulant échapper à la progression des troupes alliées, fit évacuer plusieurs centres d’internement de la région, dont celui de Saint-Sulpice, en parquant les prisonniers dans un train à destination de Buchenwald. Aux détenus du camp on ajouta des réfugiés espagnols, des familles juives, des résistants raflés en Haute-Savoie et des FTP des Bouches-du-Rhône. Giorgetti fut donc déporté le 30 juillet 1944 depuis la gare Raynald de Toulouse dans le convoi I. 252 à destination de Buchenwald (Allemagne). Dans le même transport étaient également présents les Port-de-Boucains Louis Barsotti, Marius Desvoy et Armand Guigue, Étienne Carrère de Miramas, André Cometto de Saint-Chamas et Jean Longinotti de Marseille. D’après une note du Secours catholique international du 18 décembre 1944, le train passa par Sète, Montpellier, Nîmes, Avignon, Orange, Valence, Chalon-sur-Saône, Dijon, Chaumont, Lunéville et Weimar. Les hommes adultes furent ensuite transportés jusqu’au camp. L’administration de Buchenwald enregistra l’arrivée de Lucien Giorgetti le 6 août. Sa fiche d’entrée mentionne qu’il était déporté politique et déclaré comme manœuvre. On inventoria ce qu’il avait sur lui : un bonnet, un veston, un pantalon, un pull-over, trois chemises, un slip, une paire de chaussures, une paire de chaussettes et un stylo plume. Il reçut le matricule 69970 et passa la période de quarantaine imposée aux nouveaux arrivants dans le Block 52 du Petit camp.
Le 16 septembre 1944, on l’envoya au Kommando de Witten-Annen (en Rhénanie-du-Nord-Westphalie), à plus de 300 km, dans un convoi de 700 prisonniers. Leur employeur était l’Annener Gussstahlwerk (AGW) qui fabriquait des pièces d’armement. L’Association Française Buchenwald Dora et Kommandos a reconstitué les conditions de vie que Lucien Giorgetti et ses codétenus connurent dans ce lieu sinistre. Le camp de Witten-Annen était frontalier avec Annen, à l’Ouest de la ville de Bochum, que les prisonniers virent brûler le 19 mars 1945. Il était composé de 700 déportés, français pour la plupart, et dirigé par Alfred, "un SS brutal, alcoolique et hystérique, exilé de Buchenwald pour avoir tué un homme que ses camarades veulent venger." À Witten-Annen, il assomma un Français qui ne tenait pas assez droit à l’appel. Il y avait une dizaine de blocs en bois contenant chacun une centaine de châlits à deux places superposés. Dix châlits formaient un box, qui avait un responsable choisi pour répartir la nourriture. Le camp était entouré de barbelés, sans miradors, mais avec un abri souterrain, dans lequel tout le monde se réfugiait pendant les bombardements. À partir de 4h15, le Stubedienst (assistant du chef de bloc) passait dans les box en criant "Kaffe holen !" ("Café !") pour aller chercher le petit-déjeuner de tout le bloc à la cuisine, à l’extérieur du camp. Il y avait un pain par box, à partager sans couteau, et un ersatz de café. À midi, le chef de bloc distribuait une soupe de chou rouge, parfois accompagnée d’une rondelle de saucisson mou. Une fois par semaine, il y avait également une cuillère de sel et deux cuillères de sucre en poudre. Le repas du soir tenait à 1,5 litre de soupe, remplacée par des pommes de terre une fois par semaine. Le Revier (quartier des malades) était dirigé par un médecin français, soupçonné de favoritisme envers les Russes dont il parlait la langue. Il fallait avoir plus de 40°C de fièvre pour y être accepté. Cependant, le SS Alfred annulait les admissions au gré de ses humeurs.
Le travail était effectué par deux équipes de prisonniers, à raison de douze heures par jour et six jours sur sept. Des relèves étaient faites à 6h et 18h. On devait se rendre à pied à l’usine d’armement située à 4 km, au pas cadencé et escorté par des soldats armés. Les prisonniers devaient contourner la ville à travers les potagers, pour éviter les insultes et les pierres lancées par les habitants. Après un grand portail, une route conduisait à un grand hall en briques neuves. Le sol était fait de petits pavés de bois, recyclés plus tard pour tailler des pipes ou en tant que bois de chauffage. Plusieurs rangées de machines-outils neuves permettaient de fabriquer des pièces détachées pour chars et avions. Les contremaîtres montraient pendant trente minutes le travail à accomplir. D’après son récit, Lucien Giorgetti contribua à mettre en place des groupes de résistance au Kommando et réalisa des actes de sabotage. Il était interdit de s’asseoir, même lorsque les chaînes s’arrêtaient faute de pièces. Le zèle que mettaient les Russes et les Polonais à l’ouvrage leur donnait le droit de s’approprier les bouches de chaleur dont ils chassaient violemment les Français. Pourtant 80 % de la production n’était pas jugée conforme et repartait à la refonte. Du papier et des chiffons étaient distribués les samedis soirs afin de nettoyer les machines. En réalité, ces derniers étaient utilisés en guise de papier hygiénique, de papier à cigarette ou de chaussettes de protection contre le froid. Les détenus travaillèrent toute la nuit du 23 décembre 1944 pour compenser le repos de Noël. L’entreprise AGW paya les prisonniers avec une monnaie valable exclusivement dans le camp, distribuée par le SS. Néanmoins l’événement provoqua une telle confusion que ce dernier repartit avec.
D’autres prisonniers faisaient un travail de terrassement durant la nuit. Beaucoup mouraient d’épuisement. Le dimanche était réservé à la propreté : corvées de nettoyage, rasage et coupe des cheveux, réalisée par un Italien qui pouvait dessiner une « rue » ou une crête dans la chevelure selon son état d’esprit du moment. Un Russe, qui avait essayé de s’évader, dut rester debout 24h sur un tabouret, un seau d’eau dans chaque main. Au bout de 8h il s’effondra. Il fut alors exécuté. Un autre se fractura une cuisse en tombant d’un mur. Laissé sans soin, il mourut au bout de 24h. Suite à une évasion, lors d’un trajet entre le camp et l’usine, on fit avancer les prisonniers en se tenant par le bras, en rang par cinq. Les Russes se plaçaient toujours derrière les Français et tentaient de les déchausser en marchant sur leurs talons, pour leur voler leurs chaussures. Le camp fut évacué en avril 1945. Libéré le 1er avril à Liftach (Westphalie), Lucien Giorgetti était malade et rentra en train le 27 avril depuis Jeumont (Nord). Dans son dossier d’homologation il cite les noms de plusieurs camarades qu’il avait rencontrés dans la clandestinité : Marius Godard, Marcel Baudin, Armand Guigue et Roulet. Il mentionnait aussi Étienne Carrère, qui disparut le 24 août 1944 dans le bombardement de Buchenwald.
En octobre 1947, Lucien Giorgetti se présenta aux élections municipales de Port-de-Bouc sur la liste de René Rieubon. Il était alors chef ouvrier métallurgiste et célibataire. Il conserva sa fonction de conseiller municipal jusqu’en 1959. En août 1948, il fut homologué Résistance intérieure française (RIF) et au grade de caporal, au titre du Front national de lutte pour la libération. La même année, il précisait être en attente d’homologation par les FTP. Il milita au sein de l’Association Française Buchenwald Dora et Kommandos, désireux de transmettre aux jeunes générations le souvenir du nazisme et les valeurs de la Résistance.
Lucien Giorgetti fut enterré au cimetière communal de Port-de-Bouc. La municipalité lui rendit hommage en donnant son nom à une rue du quartier de la Lèque.
Sources : SHD Vincennes, GR 16 P 256794. — Jean Domenichino, Une ville en chantiers : La construction navale à Port-de-Bouc, 1900-1966, Édisud, 1989 (p. 174, 337). — Roland Joly, Antoine ou la passion de Port-de-Bouc, Éditions des Fédérés, 2016 (p. 309-310). — Rouge-Midi, 1er mai 1935, p. 4. — Le Serment n°70, bulletin de l’association française Buchenwald-Dora et leurs Commandos, février 1967. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 20 octobre 1929 (61e année, N°247), p. 11698, p. 11702. — Archives Arolsen. – Liste du convoi "BDS Paris" arrivé le 6 août 1944 à Buchenwald. — Livre-Mémorial, Fondation pour la Mémoire de la Déportation. — Archives de l’Association Française Buchenwald Dora et Kommandos. — Notes de Louis Botella. — Cimetière de Port-de-Bouc.
Version au 8 octobre 2022.
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