BOTTÉ Wilfred, Aurélien
- Renaud Poulain-Argiolas
- 27 août
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Dernière mise à jour : 29 août
Né le 10 février 1907 à Saintes (Charente-Inférieure, Charente-Maritime), mort le 2 janvier 1997 à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes) ; ingénieur chimiste, ingénieur de fabrication adjoint à la direction de la raffinerie de la SGHP puis BP à Martigues (Bouches-du-Rhône) ; militant socialiste ; résistant du réseau Brutus puis du réseau Gilbert.

Wilfred Botté vit le jour à Saintes au domicile de ses parents, sis 32 rue Pallu de la Barrière. Ceux-ci étaient Aurélien Botté, professeur d’anglais de vingt-six ans, né à Énencourt-le-Sec (Oise), et Winifred Crane, native de Nailsea (Angleterre), vingt-et-un ans, qui fut également enseignante. Deux ans plus tard, ils habitaient chemin du Prêche à Dieppe (Seine-Inférieure, Seine-Maritime). La famille s’était agrandie d’une petite Isabelle.
Élevé en Angleterre, Wilfred Botté y apprit à parler un anglais sans accent. Il obtint les baccalauréat B et C (mathématiques), puis un diplôme d’ingénieur chimiste de laboratoire à l’Institut de chimie de Rouen et suivit une première année de licence de droit.
Il effectua son service militaire à partir de mai 1928 dans le 22e Batailllon d’ouvriers d’artillerie (BOA). Classé chimiste de laboratoire en juillet, puis brigadier chimiste en avril 1929, il reçut une instruction militaire spécialisée dans les gaz de combat.
Le 12 mai 1930, il épousait Simone Denise Cordeiro da Graça, d’origine brésilienne, à Paris (XVIIe arr.). Ils auront quatre enfants : Jean-Michel en 1931, Jacqueline en 1935 (qui mourut la même année), Claudine en 1937, François en 1943.
En novembre 1937, il accomplit un stage dans le peloton des élèves chimistes de laboratoire.
Maréchal des logis à partir de 1938, il fut mobilisé le 7 septembre 1939 et arriva deux jours après au 22e BOA 13e compagnie. Le 21 septembre, il passa à la 11e compagnie et à une compagnie de renforcement du 26 octobre au 17 novembre, date de sa mise en affectation spéciale à la raffinerie de Lavéra, à Martigues.
Socialiste, Wilfred Botté n’accepta pas la défaite française de juin 1940. Il fut un temps déstabilisé devant l’absence de structures clandestines de son parti, mais finit cependant par rencontrer Aldéric Chave, militant socialiste des MUR (Mouvements unis de la Résistance) début 1941. Botté confiera par la suite à l’historien Jacky Rabatel qu’ils déchiraient un billet de cinq francs en deux, en gardant une moitié chacun « et ça valait la carte du Parti. » Ils se regroupèrent à trois ou quatre, mais ne feront rien en tant que parti socialiste avant 1943. Selon le résistant, le parti était fort électoralement alors que la section était assez faible.
En juillet 1942, il retrouva un ami, membre du réseau Brutus, qui le mit en lien avec la secrétaire de l’avocat André Boyer, un des responsables du mouvement d’inspiration socialiste. Devenu agent P2 au mois d’octobre au sein de Brutus-Gambetta, Botté était rattaché directement à Marseille, placé sous les ordres du colonel Boiseaux, franc-maçon et ancien officier de gendarmerie qui avait travaillé avant la guerre dans le renseignement au Moyen-Orient. À Martigues existait un autre contact du réseau Brutus : le radical-socialiste Victor Guillen. Botté et lui n’avaient pourtant aucun lien.
En 1943, il élargit son réseau de contacts. Un Ausweiss en main, il allait à vélo rencontrer un contremaître aux Établissements Maritimes de Caronte, un ouvrier polonais de la base aérienne d’Istres (qui avait travaillé à la raffinerie de Lavéra), un adjudant d’origine indochinoise de la gare de triage de Miramas et un Alsacien représentant de commerce en fourrage à Tarascon.
À Martigues, à la raffinerie, un technicien nommé Harris l’informait sur le moral de la population et des troupes d’occupation en prenant la température dans les bars. Antoine Blanc, ouvrier communiste de la raffinerie, lui fournissait les plans de blockhaus allemands obtenus auprès de M. Gout, chef de chantier dans une entreprise locale qui travaillait pour la Todt.
À Mouriès, Botté avait chargé le fils de treize ans d’un ami de dessiner sur un cahier les symboles des camions allemands qu’il apercevait. Chaque semaine un agent de liaison nommé Colson alias « Colin », ancien sous-officier de la base d’Istres, venait récupérer les renseignements.
D’après Jacky Rabatel, après l’arrestation de Colson début 1943 avec un carnet d’adresse, le lieutenant-colonel Boiseaux perdit le contact avec le réseau Brutus et s’affilia au réseau Gilbert, réseau franco-anglais de l’Intelligence Service dirigé par le colonel Groussard. Wilfred Botté suivit son chef au réseau Gilbert. Ses agents de liaison furent désormais des inspecteurs de police d’origine corse de Marseille. Dans le dossier qu’il remplit en 1949 pour faire reconnaître ses services dans la Résistance, Botté datera cependant à novembre 1943 la fin de son activité pour le réseau Brutus. Peut-être que cette dernière date serait en réalité le moment de son passage au réseau Gilbert sous les ordres directs de Boiseaux ?
Le Journal officiel de l’État français du 30 mars 1944 annonçait la création d’un « Syndicat unique des ingénieurs et cadres de la famille des industries chimiques des Bouches-du-Rhône ». Botté devint membre du conseil d’administration. On peut supposer qu’il chercha par ce biais à avoir une couverture respectable pour masquer ses activités clandestines.
Le 22 août 1944, les chars américains atteignaient Martigues et s’installèrent en nombre au port de Caronte, qui servit pour débarquer le matériel allié. Ils mirent à profit la raffinerie de Lavéra en l’utilisant comme tête de pont pour approvisionner leurs troupes dans la vallée du Rhône. Depuis la veille, la commune était libérée et Botté travaillait en collaboration avec le major Charles B. Gholson. Déjà prévenu par son réseau au mois de juillet, il avait remis en état les installations, la salle des pompes et le diesel pour l’électricité, car la ville était privée de courant. Chargé de mission de 3e classe, il fut démobilisé le 30 septembre. En décembre, les Alliés lui fournirent un laisser-passer pour préparer la raffinerie pour leur projet d’oléoduc.
Wilfred Botté fut cité le 10 novembre 1945 par le général d’état-major Juin à l’ordre du corps d’armée. On le décora de la Croix de guerre avec étoile de vermeil. Sa citation mentionne : « Au cours d’une liaison à Florac le 22 février 1944, apprenant que deux agents avaient été arrêtés par la Gestapo dans la région de Martigues, n’a pas hésité à retourner au PC de cette ville pour y retirer tous les documents et archives. A pu ainsi sauver, au péril de sa vie, et cela avec un courage et un sang-froid admirables, des pièces extrêmement importantes qui auraient pu avoir de graves conséquences pour de nombreux agents du réseau. Patriote résistant remarquable. » En 1946, il reçut une carte d’identité des Forces françaises libres (FFL) n°5.962 et un diplôme du général de Gaulle n°11.826 en récompense de son engagement.
En février 1948, il était aux yeux de l’armée retiré à la Cité des ingénieurs de Lavéra. Il avait repris son travail en tant qu’ingénieur de fabrication adjoint à la direction de la raffinerie de la SGHP (Société générale des huiles de pétrole) de Lavéra. Celle-ci deviendra Société française des pétroles British Petroleum (SFBP) en 1954.
En septembre 1949, le secrétaire d’État aux Forces armées envoya à Pierre Fourcaud, ancien chef du réseau Brutus, le dossier d’intégration de Botté. Fourcaud émit un avis favorable sur le concerné. Par décret du 18 juin 1951 (annonce au JO le 21 juin), Wilfred Botté fut homologué Forces françaises combattantes (FFC) aux grades de sous-lieutenant avec prise de rang le 1er juin 1946 et de lieutenant avec prise de rang le 1er juin 1950 dans le cadre des ingénieurs du service du matériel.
On perd sa trace de ses engagements militants par la suite. Une fois à la retraite, il s’installa dans les Alpes-Maritimes. En juillet 1971, il était domicilié à La Chefferie, rue de Boeri, Le Capitou, à Mandelieu-la-Napoule.
En août 1971, la section Résistance du ministère de la Défense écrivit au secrétaire général de l’Association des Français Libres que Botté avait obtenu des titres d’appartenance aux FFL en 1946 « suivant les errements en vigueur à l’époque » et que le réseau Gilbert auquel il avait appartenu faisait partie des Forces françaises combattantes (FFC). Les titres qu’il avait acquis en 1946 restaient valables mais ne seraient pas renouvelés.
Sources : Arch. Dép. Charente-Maritime, État civil de Saintes, Naissances 1907, Acte n°41, 2 E 439/94. — Arch. Dép. Seine-Maritime, Recensement de la population de Dieppe, 1921, 6 M 580. — SHD Vincennes, GR 16 P 75874. — Journal officiel de l’État français. Lois et décrets du 30 mars 1944 (77e année, N°77), p. 950 ; Journal officiel de la République françaises, 21 juin 1951 (83e année, N°145), pp. 6463-6464. — Jacky Rabatel, Une ville du Midi sous l’Occupation : Martigues, 1939-1945, Centre de Développement Artistique et Culturel, 1986 (pp. 158, 228, 294). — Propos recueillis auprès de François Botté. — Site Match ID, Acte n°00001, Source INSEE : fichier 1997, ligne n°173083.
1ere version dans Le Maitron : 9 février 2021.
2e version : 27 août 2025.
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