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Renaud Poulain-Argiolas

BONNET Suzanne, Henriette, épouse ODRU. Pseudonyme dans la clandestinité : RAMIN Nadia.

Dernière mise à jour : 15 oct.

Née le 14 octobre 1922 à Draix (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence), morte le 18 juin 2023 à Digne (Alpes-de-Haute-Provence) ; sténo-dactylo, puis infirmière ; résistante des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF) des Basses-Alpes, courrier de l’état-major ; militante communiste des Alpes-Maritimes ; membre de l’UFF des Alpes-Maritimes et militante associative.


Suzanne Bonnet (à Nice après la guerre)

Née dans le hameau de la Rouine à Draix, Suzanne Bonnet était la fille d’un couple d’agriculteurs : Joseph Bonnet, natif de La Rouine, et Marie Richaud, née à Chanolles, dans le hameau de Blégiers (Alpes-de-Haute-Provence). Sa mère avait été placée à douze ans dans une famille aisée de Digne comme domestique – probablement au service d’un médecin – qui l’avait emmenée plus tard avec elle à Nantes. De mémoire familiale, elle avait été renvoyée dans son village pendant la Première guerre mondiale, ne supportant pas d’être éloignée des siens. Mariée avec Joseph Bonnet en janvier 1922, elle s’était alors occupée de son foyer et avait eu trois enfants : Suzanne et son frère jumeau, Paul, nés en 1922, et René, né en 1925.


Attendu que l’école du village avait fermé, Suzanne Bonnet fut envoyée faire sa scolarité à Digne-les-Bains. Elle y fut élevée par sa tante Léonie Bouvard (née Richaud). Son frère Paul fut envoyé à Chanolles chez les grands-parents Richaud, à une quinzaine de kilomètres de leur domicile. Vers 1931, lorsque la municipalité put assurer la présence de dix enfants en classe, l’école de La Rouine fut réouverte, ceux de Draix se joignant à ceux du hameau. Le recensement de la population précise que les Bonnet vivaient à La Rouine avec la mère du chef de famille, Caroline Bonnet, née Barlatier. Suzanne passa son certificat d’études à La Javie, à une dizaine de kilomètres de La Rouine. Elle dut toutefois interrompre ses études secondaires, sa tante n’ayant plus les moyens de subvenir à ses besoins. On lui donna le choix entre travailler la terre et trouver un autre métier. Elle décida de suivre une formation de sténo-dactylo.


Joseph Bonnet, maire de Draix, et sa femme Marie Richaud, vers 1940

Son père Joseph Bonnet était le maire de Draix, qui comptait à peine trente-cinq habitants en 1936. Lui-même vivait dans un hameau de cinq ou six personnes. Il y avait un espace de sociabilité à Draix, des « chambrettes », lieu de passage sans but lucratif dans lequel les hommes se réunissaient pour refaire le monde depuis plusieurs générations. La rareté de la présence humaine dans le secteur et la dureté du climat en hiver avaient aiguisé la solidarité. Les habitants en feront l’illustration durant l’Occupation. Fin janvier 1944, une École des cadres du maquis s’installa dans la ferme Belon. Cette bâtisse inhabitée ne servait qu’à accueillir les moutons en été. L’École des cadres, mise en place par les MUR (Mouvements unis de la Résistance) au niveau régional, était menée par le Martiniquais Gérard Pierre-Rose, dit "Manfred" ou "Prince". Une alerte l’avait poussée à quitter son emplacement précédent, une quarantaine de kilomètres plus au sud. Elle visait à former les jeunes chefs des maquis sur les plans intellectuel, moral et militaire. Les deux maisons habitées à La Rouine, par les Bonnet et les Pélestor, se partagèrent la charge de l’accueil des maquisards. Joseph Bonnet leur apportait du pain à dos de mulet depuis La Javie et s’occupait des bêtes pour les ravitailler en viande. Suite à une dénonciation, le bâtiment fut pris par deux colonnes de l’armée allemande le 14 février 1944. Onze maquisards étaient présents, dont David Fallik, un médecin juif qui les soignait. Excepté leur chef, tous furent arrêtés et la ferme fut brûlée en représailles. D’autres réfractaires trouvèrent refuge dans le secteur : des Italiens, comme un nommé Parisi, restés là après la capitulation de l’armée italienne. Ils grossirent les rangs des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF). Le 6 avril 1944, Alfonso Del Vicario, maquisard italien laissé pour mort par l’attaque allemande du camp de la ferme Laval à Lambruisse, se traîna jusqu’à La Rouine. Il fut soigné et pris en charge pendant plusieurs mois. Au moins deux juifs étaient cachés dans des cabanes de bergers, dont un certain Bauman (ou Baumann). Toutes ces personnes survécurent grâce à l’aide des locaux.


Suzanne Bonnet au Service du ravitaillement

Le 16 avril 1943, Suzanne Bonnet adhéra au groupe dignois de "Camarades de la route", affilié au Mouvement ajiste (Auberges de la Jeunesse). Elle était domiciliée au n°1 avenue Paul Martin. Elle cotisera encore l’année suivante. En juin 1943, elle était sténo-dactylo à la Direction départementale du ravitaillement général des Basses-Alpes, sis 19 boulevard Gassendi à Digne. D’après Jean Senatore dit "Borde", responsable des FTPF des Basses-Alpes, elle rejoignit la Résistance en août 1943, sous le matricule 62.856, avec pour pseudonyme "Nadia Ramin". Elle était la secrétaire de Georges Alziari dit "Commandant Serge" et courrier à l’état-major FTPF des Basses-Alpes. Elle accomplit plusieurs missions à l’extérieur du département.


Le Grand Hôtel de Digne (carte postale ancienne)

Dans une publication qu’elle fera paraître en 2001, elle relate qu’elle communiqua à son organisation, fin avril 1944, des renseignements sur le stock des tickets d’alimentation de mai. Elle précise : « Borde (…) venait souvent me voir au bureau où je travaillais, afin d’y étudier les plans du Ravitaillement Général. » Elle mentionne que les bureaux étaient situés dans le Grand Hôtel, occupé par les Allemands. Elle se rendit au domicile de Georges Alziari pour lui donner le nom de l’employé qui devait avoir la garde des tickets pour le mois de mai. Le nom du responsable pouvait néanmoins être modifié au dernier moment. Une heure plus tard, les FTP réussissaient à entrer en possession de « tous les tickets du mois et du département, sans aucun incident. » Après cette action, Suzanne Bonnet passa à la clandestinité.


Sa carte des FFI-FTP, signée par Georges Alziari

Le 17 juin 1944, lors de l’attaque de l’état-major par les Allemands à Estoublon, elle prit les armes d’un blessé qu’elle remplaça. Elle résista à l’assaut des troupes ennemies aux côtés de quinze hommes, « jusqu’à complète évacuation des blessés » et « ne consentit à se replier que sur l’ordre du Commandant régional. » (Senatore). Le 16 juillet, elle se trouvait au camp FTPF situé à quelques kilomètres d’Oraison avec Louis Settimelli ("Bob") et Hélène Merle ("Ginette") quand eut lieu le guet-apens monté par la Sipo-SD de Marseille, grâce aux informations fournies par le traître Maurice Seignon de Possel. Elle devait taper les articles pour leur journal clandestin Le Chant du Départ. Elle vit partir Joseph Laurenti ("Julien") et Louis Laurens ("Love") pour une réunion importante à Oraison et revenir « effondrés » au bout d’une demi-heure. Les deux hommes avaient été stoppés à l’entrée de la commune par de faux maquisards, en réalité des Alsaciens et des Français de la 8e compagnie de la division allemande Brandenburg. Dans le bourg, tous les membres du Comité départemental de Libération étaient arrêtés. Il furent exécutés à Signes (Var) le 18 juillet : un coup de poignard pour la Résistance du département.


Suzanne Bonnet à la fin de la guerre, devant le kiosque à musique de Digne

Suzanne Bonnet travailla également au service de M. Pignol, commandant du dépôt d’infanterie 158 à Digne. Celui-ci et Georges Alziari la recommandèrent pour ses qualités professionnelles au médecin-capitaine Wachtel, qui dirigeait l’hôpital complémentaire Mire-Juan (ancien hôpital de Beauvezer). En février 1945, elle y était secrétaire. À la même époque, elle adhéra au cercle Mario Cantarelli des Jeunesses communistes de Cannes. Le Dr Wachtel l’invita à continuer à travailler avec lui dans les hôtels réquisitionnés pour soigner les blessés. Elle le suivit à Cannes et à Menton.

Le 1er septembre 1946, Senatore proposa Suzanne Bonnet, « jeune fille pleine de courage » pour une citation à l’ordre du régiment au nom de la IXe région militaire. Elle habitait alors chez Célestin Pons (un oncle du côté de sa mère), 22 rue Beaupré à Marseille. En 1947, elle était secrétaire au service de l’armée à Marseille. C’est là qu’elle rencontra son futur mari, Eugène Odru, dit André Odru, militant communiste qui avait été révoqué de l’éducation nationale en 1940. Ils se marièrent le 19 juillet 1947 à Draix. Le couple aura deux filles : Josiane en 1948 et Paule en 1949.

Suzanne Odru adhéra au Parti communiste, tout comme son père Joseph Bonnet. En 1948, elle était membre de l’Association nationale des anciens FFI-FTPF. À Nice, elle fit partie de l’Union des Femmes françaises (UFF).


Suzanne Bonnet (à gauche) avec des camarades maquisards, sans date

De nombreuses attestations témoignèrent de ses services dans la Résistance : du chef de bataillon Laurin, présidant la commission départementale des Basses-Alpes, en décembre 1945 ; de Jean Senatore, ex-chef FFI du sous-secteur bas-alpin, en avril 1946 ; de Jean Peurière, chef du bureau liquidateur des FTP des Basses-Alpes, et de l’adjudant Courbon, chef de l’organe liquidateur des FFCI (Forces françaises combattantes de l’intérieur) des Basses-Alpes, en mars 1947. En 1954, Antoine Menardo alias "commandant Geoffroy", ancien membre de l’état-major FTPF de la région R2, rappelait le travail de liaison qu’elle avait effectué avec les compagnies FTPF des Basses-Alpes, des Alpes-Maritimes et du Var. Malgré cela, il semblerait qu’une erreur administrative fût la cause de l’absence de certificat d’appartenance aux FFI à son nom.


En mars 1954, Suzanne et Eugène Odru étaient domiciliés à la villa Aurore, 7 avenue du Docteur Moriez, à Nice. Ils avaient pour voisin Virgile Barel. Des réunions de l’UFF avaient lieu chez eux. Au mois d’octobre, la famille s’installa à Saint-Martin-Vésubie, où le père, réintégré dans l’éducation nationale, avait trouvé un poste d’instituteur. Vu qu’il n’y avait pas de groupe de l’UFF dans leur village, Suzanne Odru cessa de s’investir dans l’association, mais continua d’en recevoir les publications. Dans la première moitié des années 1960, elle était infirmière au cours complémentaire de Roquebillière, où travaillait son époux. Par la suite, elle fit occasionnellement du travail de manutention dans une usine.


Elle fut décorée en décembre 1984 par Charles Hernu, ministre de la Défense, de la Croix du Combattant volontaire avec "Barrette 1939-1945". À la fin des années 1980, les Odru firent partie des initiateurs de la création du Musée de la Résistance azuréenne à Nice.

Suzanne Odru publia en octobre 2001 une brochure intitulée Les Femmes dans la Résistance des Basses-Alpes, éditée par l'Union départementale CGT des Alpes-de-Haute-Provence, pour mettre en lumière l’engagement des femmes de son département. Elle s’inspira notamment des ouvrages sur la période écrits par les résistants de différents mouvements – comme Jean Garcin (Combat), Fernand Tardy (Armée secrète), Jacques Lécuyer (Organisation de Résistance de l’Armée), Jean Vial (Combat-Mouvements Unis de la Résistance), Louis Gazagnaire (FTPF) – et des Archives FTP des Basses-Alpes.


Suzanne Bonnet-Odru mourut à Digne à l’âge de cent ans.


Œuvre : Les Femmes dans la Résistance des Basses-Alpes, Les Cahiers Bas-Alpins de la Résistance, 2001.


Sources : Arch. Dép. Alpes-de-Haute-Provence, État civil de Draix, Naissances 1903-1922, Actes n°1 et 2 (1922), 3E259/0683 ; Recensement de la population de Draix, 1931, 6M091 ; « 14 février 1944, la fin de l’école des cadres de Draix d’un hameau abandonné à un lieu d’art et de mémoire ». — SHD Vincennes, GR 16 P 72260. — Archives familiales. — Notice Maitron d’ODRU André par Jacques Girault. — Témoignages de ses filles (octobre 2024). — Site Généanet, Arbre généalogique de Josiane Leclerc. — Site Match ID, Acte n°187, Source INSEE : fichier 2023, ligne n°280523.


1ere version : 4 septembre 2024.

2e version : 4 octobre 2024.

3e version : 10 octobre 2024.

4e version : 14 octobre 2024.

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Passionné d'histoire, j'ai collaboré pendant plusieurs années au Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - mouvement social.

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